Les ravages de l’hostilité en ligne

Karine Gagnon
L’hostilité en ligne pourrit les débats dans notre société. Or, une étude inédite vient de paraître sur ce phénomène, qui s’inscrit plus largement dans le «sombre paysage des violences faites aux femmes», avec un «profond enracinement dans le terreau du sexisme et de la misogynie».
Des plus pertinentes et s’appuyant sur une recherche élaborée, cette étude du Conseil du statut de la femme (CSF) se penche sur cet enjeu de société que représente l’hostilité en ligne, et qui demeure encore très peu documenté.
Le tout a été commandé par la ministre responsable de la Condition féminine, Isabelle Charest, à la suite du dépôt d’une motion par l’Assemblée nationale, en 2019. On y constate à quel point l’hostilité en ligne, qui englobe violence en ligne, cyberintimidation et cyberharcèlement, fait des ravages.
Elle touche hommes et femmes de tous âges, mais pour les femmes, le chemin est différent, à travers des commentaires sexistes et misogynes dont l’impact peut être majeur. Au point que certaines femmes choisissent de se retirer de la vie publique ou de ne pas s’y aventurer.
Sphère publique
Le portrait brossé dans l’étude «dissipe l’idée selon laquelle l’hostilité en ligne envers les femmes puisse être un phénomène marginal, sans grandes conséquences et relevant de la sphère privée».
Dans les sphères politiques et médiatiques par exemple, de nombreuses femmes témoignent en effet être victimes. J’en suis, comme la quasi-totalité de mes collègues qui exposent leurs idées dans les médias. Plusieurs en témoignent régulièrement.
Cette violence est surtout masculine, constate le rapport. C’est aussi ce que j’observe, notamment lorsque mon travail m’amène à écrire sur des sujets polarisants comme la vaccination, la COVID, le tramway ou le troisième lien. Des antitramway et des pro-troisième lien sont particulièrement portés sur cette forme de violence. C’en est désolant.
De nombreux spécialistes font valoir, rapporte l’étude, que l’hostilité en ligne visant les femmes aurait pour but, conscient ou inconscient, d’entraver leur participation à la sphère publique et à des lieux traditionnellement réservés aux hommes.
Il y a là une volonté de «remettre les femmes à leur place», en les reléguant à la sphère privée ou à un rôle de partenaire sexuelle, explique le rapport.
Forme de violence
L’étude permet de réaliser que l’hostilité en ligne constitue bel et bien une forme de violence. «Elle est plus souterraine, elle est parfois cachée aussi, comme d’autres formes de violence», constate Me Louise Cordeau, présidente du CSF.
Dans tous les cas, il y a une forme de solitude, note Me Cordeau. Les victimes vont se demander quels moyens prendre pour que ça cesse, comment dénoncer et quelles ressources on peut avoir.
«Ce sont toutes des questions relatives à la violence», fait-elle remarquer.
Comme le souligne Mélanie Julien, directrice de la recherche et de l’analyse, «on a quand même fait beaucoup de pas au Québec dans la reconnaissance sociale des violences conjugales [...] et des agressions sexuelles, mais c’est comme si tout le parcours traversé en cette matière, il faut aussi le faire pour l’hostilité en ligne».
Le phénomène demeure banalisé, aussi l’étude invite à une mobilisation afin que cette forme de violence soit à son tour «reconnue, dénoncée et combattue».
L’étude évoque diverses pistes de solutions, qui ne sont ni simples ni uniques, évoquent Mmes Cordeau et Julien. Mais les leviers, qu’ils soient juridiques ou non, et la volonté d’agir, existent, à travers l’éducation notamment.
Il faut maintenant passer à l’action et à la mise en œuvre.