Je vous salue salope: les ravages de la misogynie en ligne


Maxime Demers
Après avoir signé une série documentaire – T’as juste à porter plainte – sur le chemin de croix vécu par les victimes d’agressions sexuelles au sein du processus judiciaire, l’autrice et réalisatrice Léa Clermont-Dion poursuit son combat pour les droits des femmes en se penchant cette fois-ci sur le fléau de la cyberviolence et de la misogynie en ligne.
Intitulé Je vous salue salope, son nouveau documentaire, qu’elle a coréalisé avec Guylaine Maroist (God Save Justin Trudeau), donne la parole à quatre femmes qui ont subi des attaques misogynes en ligne.
On y suit notamment le combat de Laura Boldrini, une politicienne italienne qui a reçu des menaces de mort et de viol sur les réseaux sociaux après avoir été nommée présidente du Parlement. Le film relate aussi les terribles épreuves vécues par Kiah Morris, une ex-représentante démocrate américaine, qui a été victime de harcèlement raciste après avoir été élue à l’Assemblée générale du Vermont, et par Laurence Gratton, une enseignante québécoise qui a été harcelée en ligne pendant cinq ans par un ancien collègue de classe.
Le point en commun entre ces quatre femmes : elles se sont toutes démarquées en prenant la parole sur la place publique.
«Ce sont souvent les femmes de pouvoir qui sont visées par le harcèlement en ligne parce que ce sont des femmes qui ont des discours qui sortent de la cuisine et qui sortent de la sphère privée», explique en entrevue Léa Clermont-Dion, qui a elle-même subi du cyberharcèlement il y a quelques années.
«Les gens qui ont des idéologies réactionnaires et misogynes veulent que les femmes restent à la maison. Le fameux slogan “Go back to the kitchen”, qu’on voit souvent dans les milieux misogynes en ligne, ce n’est pas pour rien. Ce sont les femmes qui prennent la parole qui les dérangent.»
Thèse de doctorat
Léa Clermont-Dion connaissait déjà le sujet sur le bout des doigts avant de se lancer, en 2015, dans la réalisation de ce documentaire. Pour faire sa thèse de doctorat, l’autrice et militante a en effet passé cinq ans à analyser les discours antiféministes en ligne.
«Rédiger ma thèse de doctorat a été très difficile mentalement, alors ça m’a fait du bien de me ramener à la réalité en abordant le sujet dans un processus créatif et de donner la voix aux victimes», confie-t-elle à propos de la réalisation du documentaire.
«Je trouvais que le sujet était porteur et avait un grand potentiel cinématographique, avec toutes les émotions qui viennent avec.»
Plus actuel que jamais
La réalisation de Je vous salue salope s’est échelonnée sur près de sept ans. Si Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist ont voulu prendre leur temps pour bien développer leur sujet, il leur a aussi fallu faire preuve de beaucoup de patience pour établir une relation de confiance avec leurs intervenantes. Elles se félicitent particulièrement d’avoir réussi à convaincre Laura Boldrini – «une grande figure en Italie» – et Donna Zuckerberg – la sœur du fondateur de Facebook et spécialiste des cyber-violences faites aux femmes – de participer au film.
On pourrait croire que la situation s’est améliorée depuis que les deux réalisatrices ont tourné les premières images de leur film, il y a quatre ans. Or, c’est tout le contraire.
«En fait, c’est pire qu’avant, insiste Guylaine Maroist. Les chiffres le montrent : au Canada, ç’a augmenté de 20 %. Au moment où on se parle, tous les jours, il y a un cas de cyber-harcèlement envers une femme. C’est un problème plus actuel que jamais.»
Que faire alors? Selon les réalisatrices, il faudrait commencer par former les policiers qui, trop souvent, ne savent pas quoi faire avec les plaintes de cyberviolence. Il faudrait aussi punir les malfaiteurs et mieux encadrer les réseaux sociaux, à l’image de ce qu’a fait l’Allemagne, en instaurant une loi visant à combattre les propos haineux sur internet.
Si rien n’est fait à court terme, Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist craignent que la montée de la cyber-violence contribue à faire taire les femmes.
«J’enseignais à l’UQAM cette année, et il y a des étudiantes qui disaient qu’elles n’iraient jamais en politique parce qu’elles ne voulaient pas avoir à endurer la cyberviolence, observe Guylaine Maroist. On peut les comprendre. Tu as quelque chose à dire, mais ça ne te tente pas de devoir subir du harcèlement en ligne et de faire vivre ça à ta famille. C’est un enjeu démocratique. Est-ce qu’on est en train de couper la voix des femmes?»
Le documentaire Je vous salue salope – La misogynie au temps du numérique prendra l’affiche le 9 septembre prochain.