Les premières femmes reporters faisaient bien plus que le courrier du cœur
Une universitaire met en lumière la contribution des femmes journalistes entre 1890 et 1945


Mathieu-Robert Sauvé
Elles descendent dans une mine, enquêtent chez les draveurs et font le récit de Paris en temps de guerre; les pionnières du journalisme au Québec faisaient bien plus que le courrier du cœur.
«Les premières femmes journalistes d’ici allaient sur le terrain et publiaient de grands reportages. L’Histoire n’a pas toujours bien retenu leurs contributions», résume Charlotte Biron, qui fait paraître cette semaine chez Boréal une anthologie de textes marquants de journalistes québécoises entre 1890 et 1945.

Alors que se tient à Rivière-du-Loup du 7 au 9 novembre le congrès annuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, où 47% des membres sont des femmes, celles-ci ont longtemps été peu nombreuses à pratiquer le métier. Et encore, elles étaient souvent confinées aux «pages féminines», dont l’entretien ménager, la mode et la maternité assuraient l’essentiel du contenu.

Fuir Paris occupée
«Il y a eu plus de journalistes femmes qu’on a tendance à le penser. Elles s’affichaient d’ailleurs plus comme journalistes que comme écrivaines, un titre trop prestigieux à leurs yeux», explique la spécialiste de l’histoire littéraire qui enseigne à l’Université du Québec à Montréal.
Mme Biron est particulièrement fière d’avoir exhumé des textes oubliés comme celui de Robertine Barry (1863-1910), qui raconte sa visite d’une mine en Angleterre, ou celui d’Éva Senécal (1905-1988), qui relate sa rencontre avec des draveurs de la Mauricie.

Son anthologie présente le récit de sang-froid de Simone Routier (1901-1987), qui doit évacuer Paris en 1940, parfois avec le masque à gaz. C’est l’un des seuls récits publiés par une Québécoise sur l’évacuation de Paris pendant la Seconde Guerre mondiale. L’extrait publié dans cet ouvrage est captivant, tout en étant réaliste et non sans humour – elle est furieuse de s’être cassé deux ongles en bouclant ses valises au moment de fuir le nazisme.
Sensibilité particulière
Pour Mme Biron, le journalisme au féminin ne doit pas exclure les contenus traditionnellement associés aux mères et ménagères, comme cette section «Pour vous Mesdames» de La Presse en 1901 qu’elle reproduit dans son livre.

«Les femmes reporters vont s’autoriser des remarques sur les rideaux ou le mobilier dans leurs articles. Cette sensibilité pour l’espace intérieur auquel est associée la figure de la mère demeure, mais mon livre veut surtout mettre en avant le fait qu’elles ne reculeront pas devant des sujets plus ambitieux qui les amènent sur le terrain, parfois très loin de chez elles.»

Charlotte Biron, Femmes reporters du Québec (1895–1945): Une anthologie, Boréal, 264 p., 21,95$.