Les objets du passé valent une fortune: le vintage et le rétro ont la cote, l’industrie se nourrit à la nostalgie


Julien McEvoy
Toute une industrie qui se nourrit à la nostalgie se porte très bien, merci. La popularité des objets des années 1960 ou des années 1980 sourit à tout un secteur de l’économie.
Les consommateurs qui ne retirent aucun plaisir à acheter des objets de l’année trouvent l’extase – et la dopamine – dans une machine à écrire ou dans la première version de la Nintendo, celle où on pouvait tuer des canards au fusil.
«L’âme d’un collectionneur trouve ça dur, jeter les choses. Faut les préserver, pour soi ou pour les autres», résume Gilbert Goyer, de la boutique Autos-Suggestions, à Montréal.

L’ingénieur de carrière s’est fait injecter «le virus», l’amour des petites voitures de collection, dans les années 1980. Son amoureuse en avait trouvé une chez Eaton, Gilbert en a aujourd’hui 3000 chez lui.
Sa boutique en abrite 3000 autres, mais il en vend beaucoup plus, à peu près 12 000 par année. Populaire, vous dites, les petites voitures?

«Il ne se passe pas une semaine sans qu’une succession me contacte pour la vente de la collection d’un défunt», raconte ce retraité qui ne s’est jamais arrêté.
Dans ces amas de ferrailles et ces boîtes jamais ouvertes se cachent les pépites, ce qui a le don de l’exciter. Il le sait.
Sa voiture, celle qui le «fait triper» et dont il ne peut se passer, qu’il a eue trois fois «pour vrai», ses trois modèles, et le millier d'autres, c’est la Mini Austin.

«C’est le même design que la petite voiture d’aujourd’hui», raconte le passionné. Conçue en Angleterre dans les années 1920, c'est la bagnole qui a mené à la Renault 5 et à la Golf de Volkswagen.
Dans sa collection à la maison, Gilbert possède plus de 1000 modèles de cette voiture. «Je me gâte souvent», lance-t-il en riant.

Jouer aux cartes... et en acheter
D’autres objets du passé trouvent preneur. Les cartes Magic de 1993 attirent autant les clients en 2024.
«La dopamine d’un paquet qui s’ouvre, c’est vraiment, vraiment addictif», confie Pier-Hugues Boucher, qui joue depuis ses 10 ans.
Le rappeur de 32 ans – il se fait appeler Vendou, a produit deux albums – s’amuse avec ses cartes. Il ne fait pas que les collectionner.

Une carte Magic rare, mais qui ne se joue pas, vaut d’ailleurs moins que certaines cartes qui ne servent qu’à jouer, sans être rares.
Vendou tente d’être un adulte responsable. Lorsqu’une nouvelle série de cartes débarque sur le marché, tous les deux ou trois mois, il n’achète qu’une boîte à 300$.

«Faut se discipliner, sinon je passerais ma vie à en acheter», rigole l’artiste. Les dessinateurs sont importants dans l’univers Magic, Pier-Hugues apprécie leur art, le savoure autant que sa partie hebdomadaire avec ses potes.
Récemment, un paquet qu’il ouvrait contenait une carte d’Optimus Prime extraholographique. Tout de suite affichée sur un groupe Facebook, elle lui a rapporté 2000$ auprès d’un coreligionnaire de la région de Québec.
«C’est la loto, tu ne sais pas sur quoi tu vas tomber», s’enthousiasme l’ambianceur, qui «trop souvent» s’est retrouvé dans un puits sans fond à regarder «beaucoup trop» de vidéos YouTube d'unboxing de cartes Magic.
Le «jackpot», la vraie manne, seuls les gens qui avaient 20 ans en 1993 l’ont connue, raconte l’artiste sans s’arrêter. Ils ont payé 20$ pour des ensembles de cartes qui valent aujourd’hui une fortune.

«Les trois premières éditions valent très cher. J’ai quelques cartes de cette époque-là», lâche le trentenaire avec fierté.
Sa carte préférée est Force of Will, tirée de la série Alliances de 1996. Elle est utile à jouer, davantage que ce qu’avaient imaginé ceux qui l’ont créée.

Le moteur du collectionneur
Cet amour du passé, on le sait, est ce qui profite à l’industrie du vintage. Les gens veulent acheter les objets de leur jeunesse, les jeux et les jouets que leurs parents ne leur ont pas payés, ceux qu’ils ont jetés.
«C’est de la nostalgie, mais c’est aussi le désir de posséder du matériel», croit Jonathan Millette, de la boutique Retro MTL.
La musique est son meilleur argument. Comme pour le son d’un vinyle qui, cocktail à la main, nous fait vibrer, on aime se retrouver à huit sur le divan pour jouer – et crier – à Super Smash Bros. sur la Nintendo Switch.
Avec trois amis, Jonathan a transformé son hobby en gagne-pain. Spécialisés dans les jeux vidéo, les quatre mousquetaires de la rue Hochelaga payent leur loyer grâce à notre amour du passé, de l’analogique, des fils qui traînent partout.
Dominique, l'un des acolytes, bûche pour assembler des collections de jeux. Celle de la première console Nintendo est complétée, celle du Gameboy aussi, et il ne reste que sept ou huit jeux pour la troisième, celle des jeux Super NES.
C’est aussi ça, collectionner. Un brin de folie mixé à de la nostalgie, créant un moteur capable de tout surmonter, incapable de s’arrêter.

«Les jeunes aiment encore le vintage, il y a de l’espoir», confirme Peter Handros, un Montréalais d’origine grecque qui gère depuis 20 ans une boutique d’objets du passé dans le Mile End.
Son truc, c’est d’offrir de la variété. Spécialisé dans les tableaux, les bijoux et les objets de décoration, le proprio d'Antiques Loft 9 vend ce que ses clients déposent en consigne.
Ses bijoux – il a déjà manipulé un œuf Fabergé et un Georges Braque – sont certifiés par un gemmologue, jamais un tableau n’a été retourné. Les meubles et les objets de décoration sont plus sournois.
«C’est incroyable de voir une table de 400 ans en parfait état. J’en ai des frissons, sauf que pour la déco, c’est plus difficile de déterminer la provenance», relate l’expert en vases, en assiettes anciennes, la liste est longue.
Le mid-century est actuellement fort demandé, le victorien un peu moins. Les modes passent, reviennent, Peter observe, apprend... et vend.
L’entendre rigoler en parlant d’un shaker à cocktails en forme de pingouin, «même pas en argent, en plaqué» et vendu 12 000$, c’est comprendre l’attrait des objets du passé.