«Les Nordiques, c’était ma vie»: Marcel Aubut revient sur le départ de l’équipe


Stéphane Cadorette
Le 25 mai 1995, les Nordiques s’en allaient. Trente ans plus tard, Le Journal a consulté de nombreux intervenants en demandant: «Et s’ils étaient restés?». À quoi ressemblerait la ville, la rivalité, le hockey au Québec... Notre dossier vous propose d’imaginer cet univers parallèle malheureusement fictif, mais fascinant.
Quand on pense qu’absolument tout a été dit sur la vente des Nordiques en 1995, il suffit de s’asseoir avec Marcel Aubut pour qu’il déniche quelques perles. L’ancien président de l’équipe, qui ne donne pratiquement plus d’entrevues depuis une dizaine d’années, s’est ouvert au Journalsur les 30 ans du départ des Bleus en révélant qu’à la base, la possibilité de quitter pour le Colorado n’était qu’un épouvantail pour faire reculer le gouvernement québécois. Rien de plus.
Dès notre arrivée à la résidence de Me Aubut, où il nous a convié, la première chose qui saute aux yeux sur son bureau est un fichier de l’épaisseur d’un cartable avec un mot en grosses lettres: «Cadorette». Difficile de ne pas se sentir interpellé. L’avocat a visiblement pris des tonnes de notes et sa boîte à souvenirs est bien préparée pour une tournée de questions.
Depuis sa démission du Comité olympique canadien en 2015, celui qui a bâti sa carrière en défonçant des portes se fait discret. Tout le contraire de l'exubérance qu’il a longtemps incarné.
Le 25 mai 1995, les Nordiques prenaient la route de Denver après des négociations infructueuses entre Aubut et le gouvernement du Québec. Certains ont dénoncé ce qu’ils qualifient de manque de vision du gouvernement Parizeau à l’époque, tandis que d’autres en ont voulu à Aubut et ses actionnaires, qui se sont partagés 75 millions.

Jamais de vente dans la mire
Devant l’impasse, Aubut s’était résigné à accepter, de pair avec le nouveau commissaire de l’époque Gary Bettman, de discuter avec 14 acheteurs potentiels, tous de l’extérieur.
Du lot, seul Charlie Lyons, de Comsat, semblait sérieux. Et encore là, l’ancien président des Nordiques jure qu’il n’avait aucune intention de lui vendre son joyau.
«Je te fais une confidence et je t’assure que c’est vrai. À la base, les discussions avec Colorado, c’était juste pour faire bouger notre monde ici. Ce n’était pas pour vendre l’équipe. Charlie Lyons savait qu’il était utilisé, mais qu’en me rendant service, il serait le prochain pour un club d’expansion. Je lui ai dit dès la première minute : Je vais me servir de toi, tu n'auras jamais mon club, jamais! C’est la vérité. Je pensais vraiment réussir et tout s’est effondré», insiste Aubut.

Une passe d’argent?
Aujourd’hui, Aubut assure qu’il n’entretient pas la moindre rancœur quant au départ des Bleus. Posé et calme durant le long entretien, le seul moment où la moutarde lui monte au nez, c’est quand on lui dit qu’il y en aura toujours pour croire qu’il a fait une passe d’argent.
«Les gens disent que j’ai fait de l’argent avec la vente. Voyons donc l’argent! Les Nordiques, c’était ma vie, je les ai rentrés dans la Ligue nationale. J’étais indépendant financièrement et rien ne pouvait acheter un thrill comme celui-là. J’ai siégé sur des gros comités et j’ai réglé de gros dossiers par la suite, mais il n’y a rien eu pour accoter ça dans ma vie», peste-t-il.
À l’époque, le plan proposé par Aubut stipulait qu’un casino à Québec allait éponger les investissements du gouvernement dans un nouvel amphithéâtre.
«Incompréhensible» est le mot qu’Aubut martèle trois fois de suite lorsqu’on lui demande l’élément clé qui a fait achopper les négociations.
«Monsieur Parizeau, c’était un homme de grands dossiers et j’avais espoir avec lui. Je lui avais dit que dans le sport, quand on a une franchise, peu importe si on a la capacité à la soutenir ou pas, il faut trouver des solutions pour ne jamais la laisser partir parce qu’il y a zéro garantie qu’on va la ravoir.
«Quand je lui disais ça, je l’assommais un peu, mais il finissait par me répondre que le premier citoyen de la ville (le maire Jean-Paul L’Allier) n’était même pas avec moi et que je ne pouvais pas donner des leçons», dit-il.
Derrière Bettman
C’est bien beau tout ça, mais 30 ans plus tard, les Nordiques sont partis et le rêve de les voir revenir s’estompe toujours plus de jour en jour. La tentation est grande à Québec pour les plus fervents de jouer aux dards avec une photo de Bettman comme cible.
Pourtant, Aubut assure que le commissaire n’est pas à blâmer.
«Je le connais très bien, il venait passer des vacances ici à La Malbaie. Il aimait beaucoup la région. Quand je lui ai dit que je devais vendre, il m’avait dit dans son bureau que ça lui faisait de la peine de perdre cette culture, qui était un actif majeur pour la ligue. Mais je le mettais en face d’une situation où il n’y avait pas de nouveau Colisée et pas d’aide gouvernementale.
«À cause de son bon travail, l’économie a totalement changé au niveau de l’intérêt à entrer dans la ligue. Il y a au moins cinq villes qui attendent. Pourquoi être plus sympathique à nous? Parce qu’on a déjà été dans la ligue? Au contraire, il fallait s’arranger pour y rester», plaide Aubut.

Et le retour?
Aujourd’hui, Aubut préfère regarder l’histoire des Nordiques comme «un paquet de belles victoires» que comme un gros échec. Il se désole du fait qu’il avait fièrement déclaré, au moment du rachat de l’équipe par le groupe d’actionnaires québécois en 1988, que les Nordiques étaient à Québec pour toujours.
De 1989 à 1995, il estime qu’il était impensable de faire plus pour sauver l’équipe en négociant pour la construction d’un nouveau Colisée.
«C’était sans arrêt. Tout le monde a été tellement averti que c’était peut-être trop. La population était résignée, les politiciens n’avaient plus peur de rien. À force de crier au loup, les gens se sont habitués. Ce n’est pas que les gens ne m’ont pas cru, mais ils ne voulaient pas qu’on touche à l’argent public», constate-t-il.
Les Nordiques à Québec, dans un contexte où un propriétaire doit désormais débourser 1,2 milliard de dollars américains, est-ce devenu une lubie? Me Aubut estime encore la chose possible, mais ne voit pas qui va se lever.

«Je ne veux pas faire de peine à personne, mais à Québec, nomme-moi un projet qui marche et qui vient du privé comme on faisait. Je n’ai pas vu beaucoup de remplaçants. Je suis certain que le talent est encore là, mais personne ne s’élève au-dessus de la mêlée. Québec mérite mieux que ça.
«Je ne sais pas ce qui se passe, je ne peux pas l’identifier, mais ça me fait beaucoup de peine», se désole-t-il.
Marcel Aubut assure que même dans les premiers mois qui ont suivi la vente, sa vie n’a pas été minée par des partisans en colère. Mêmes restaurants, mêmes sorties, même courtoisie des gens. À une énorme différence près.
«Il y a un gros vide», dit-il.