Les liens qui se font et se défont


Marie-France Bornais
La comédienne et écrivaine Marie-Chantal Perron aborde le thème délicat des liens invisibles qui relient les membres des familles recomposées dans son premier roman pour adultes, Les douze mois de Marie. Tout en émotions et en questionnements, il raconte le parcours d’une jeune femme qui tente de retrouver celle qui fut, pendant un temps, sa belle-mère. Une femme qu’elle adorait et avec qui les liens ont été coupés lorsque celle-ci a quitté son père.
Prunelle, 25 ans, retrouve en librairie l’exemplaire d’un livre écrit par Marie, une femme qui a quitté son père lorsqu’elle était enfant. Ce livre raconte les 12 mois de réflexion qu’il a fallu à Marie pour partir, en laissant derrière cette petite Prunelle à laquelle elle était très attachée.
À travers l’histoire émouvante de Marie et Prunelle, Marie-Chantal Perron évoque les situations difficiles où les liens familiaux se brisent, dans le contexte des familles recomposées. Choisir de quitter quelqu’un, dans certaines relations entre adultes, veut aussi dire se séparer d’un enfant.
En entrevue, Marie-Chantal Perron parle avec beaucoup d’émotion de ces liens invisibles qui se font et parfois se défont au sein des familles recomposées, de ces deuils qui ne sont pas reconnus.
« Quand j’en parle autour de moi, à d’autres personnes qui ont été belles-mères ou qui sont mères, ça suscite énormément de conversations », commente-t-elle.
« C’est un lien invisible, un lien non reconnu qui peut être très confrontant pour certaines mères, qui peut être déstabilisant pour des belles-mères qui ne s’attendaient pas à avoir des enfants dans leur vie ou à avoir à s’occuper d’enfants et qui, comme dans le livre, s’attachent à eux. »
Son récit va toucher beaucoup de monde. « Je portais en moi quelque chose qui était aussi à l’intérieur d’autres personnes. Je trouve ça super. Ça fait écho chez les gens et c’est une question de société qu’on va de plus en plus se poser. »
La personne qui part
Au début, Marie-Chantal avait le goût de parler de la personne qui part.
« On parle souvent des gens qui sont quittés, mais on parle rarement de ceux qui quittent. Souvent, ceux qui quittent ont l’odieux d’avoir quitté une relation, donc ils n’ont pas le capital de sympathie de l’entourage. »
Plus elle écrivait sur ce sujet, plus elle découvrait que, peu importe qui part, ou peu importe la personne qui est laissée derrière, les deux ont à affronter des deuils.
« Ce serait quoi le deuil d’une femme qui part ? C’est quoi le deuil d’une femme qui quitte une famille recomposée ? C’est là que l’idée d’une belle-mère qui doit quitter une relation amoureuse où elle n’est pas heureuse, mais qui se retrouve en conflit avec elle-même parce qu’elle sait qu’elle va perdre le lien avec cette petite fille qui n’est pas la sienne. Comme le lien, dans le roman, est complexe, elle sait très bien qu’il n’y a aucune loi qui va pouvoir les protéger et préserver leur lien aux deux. »
Une œuvre de fiction
Marie-Chantal a eu envie d’écrire un roman, et non un récit.
« J’ai eu le goût de m’imaginer que Prunelle, plus vieille, aura un retour sur sa propre vie, étant elle-même devenue belle-mère très jeune. J’ai une copine qui s’est retrouvée, à 26 ans, belle-mère de deux préados. Son amoureux avait 10-15 ans de plus qu’elle. »
Elle trouvait intéressant de se tourner vers la fiction.
« Ça me permettait d’écrire quelque chose de plus lumineux, aussi. Et de souhaiter que le lien, malgré son invisibilité, reste présent à l’intérieur de quelqu’un. Je veux croire aux liens affectifs, même si des fois, les choses s’étiolent. »
- Marie-Chantal Perron a été finaliste aux Prix littéraires du Gouverneur général en 2020 dans la catégorie Littérature jeunesse.
- Depuis sa sortie de l’École nationale de théâtre du Canada en 1989, elle a joué dans plus de 25 pièces, plus d’une douzaine de films et elle a tenu près d’une trentaine de rôles à la télévision.
- Elle a également reçu de nombreux prix d’interprétation.
- Le Radio-Théâtre de son livre sera diffusé sur Ohdio (Radio-Canada), avec Alice Dorval, Bianca Gervais, France Castel, Didier Lucien, Patrice Godin, Francis Ducharme et Marie-Chantal Perron. Réalisation : Francis Legault.
- Le roman sera mis en lecture par Michel Poirier cet été dans le cadre des Arts d’été.
EXTRAIT

« Mais l’amour, c’est plus fort que la police. Prunelle, ma belle-fille, si belle mais fille d’une autre, par ton arrivée dans ma vie, tu me sacres belle-mère sans être belle ni mère de personne.
Ce rôle, fabriqué de toutes pièces, flou, ingrat, interchangeable, sans droits, hors des lois, foisonne dans notre société du divorce. Dans cette loterie sentimentale, la réciprocité de l’amour avec l’enfant et tout son entourage s’avère aussi hasardeuse qu’un coup de dé. Une figure parentale éjectable, jetable lorsqu’elle ne cadre pas, ou ne cadre plus, avec la toile abstraite de la famille recomposée. Qui voudrait faire partie d’une lignée sans ancêtres ni descendants ? Moi, entre autres. »