Sort des Ouïghours: les JO hantés par des droits humains bafoués

Caroline Lepage
Le boycottage diplomatique des pays occidentaux comme le Canada aux Jeux olympiques de Pékin est clairement insuffisant pour faire cesser le génocide des Ouïghours en Chine, selon des experts.
Les États-Unis, le Canada, l’Australie et le Royaume-Uni ont permis à leurs athlètes d’y participer, mais n’ont envoyé aucune délégation officielle, car ils protestent contre les crimes contre l’humanité au Xinjiang, au nord-ouest de la Chine.
Les droits humains d’un million de Ouïghours, un groupe ethnique musulman sunnite du Xinjiang, sont bafoués, plusieurs étant détenus dans des camps de rééducation.
Le premier ministre Justin Trudeau a déclaré, vendredi, être profondément préoccupé par les rapports de violation des droits de la personne dans ce pays.

«C’est de l’hypocrisie. (...) Ce n’est pas ça qui va améliorer le sort des droits humains en Chine», a affirmé Jocelyn Coulon, chercheur au Centre d'études et de recherches internationales de l’Université de Montréal.
Une lettre signée par des députés de Québec et d’Ottawa revendiquait en février 2021 que les Jeux olympiques aient lieu hors de Chine. Près d’un an plus tard, les Jeux olympiques s’ouvraient tout de même à Pékin.

Yann Roche, président de l'Observatoire de géopolitique de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques de l'UQAM, croit aussi que le boycottage diplomatique aura peu d’impact.
«En même temps, ne rien dire du tout aurait été grave», a-t-il dit.
Selon lui, célébrer cette grande fête sportive comme s’il ne se passait rien aurait signifié qu’on ferme les yeux.


Pressions économiques
Pour exercer une véritable pression, il faudrait limiter les activités commerciales avec la Chine, évaluent les experts.
«Le Canada n’aura pas de délégation officielle en Chine pour les Jeux olympiques, mais continue son juteux commerce avec la Chine», a déploré M. Coulon.
Le député bloquiste Alexis Brunelle-Duceppe souhaite l’adoption de sanctions beaucoup plus strictes au niveau économique. Par exemple, aux ports américains, c’est au transporteur de prouver que les produits arrivant du Xinjiang ne sont pas le fruit du travail forcé. Au Canada, le fardeau de la preuve revient au douanier.
«Je pense qu’il y aura consensus au sein des partis pour améliorer les lois», a-t-il exprimé.
Celui-ci estime que le Canada a manqué une occasion en or de reprendre la position qu’il avait à l’international. «Vous ne verrez pas souvent un bloquiste féliciter un ancien premier ministre conservateur, mais Brian Mulroney, (...) c’est lui qui s’est levé face au régime de l’apartheid et qui a pris le leadership», a-t-il souligné.


L’horreur continue dans les camps de concentration des Ouïghours
Les Ouïghours, qui sont des musulmans sunnites minoritaires en Chine, rapportent depuis quelques années vivre des horreurs dans des camps de concentration.
Ceux qui ont fui ont parlé d’emprisonnement, de tortures, de viols, de violences sexuelles, de surveillance de masse, de travail forcé et d’exécutions, notamment.
Le gouvernement chinois, qui gère ces camps, a d’abord nié ces allégations pour ensuite dire qu’il s’agissait plutôt de centres de formation professionnelle visant à lutter contre l’extrémisme religieux, le terrorisme et le séparatisme.
Le Xinjiang fait l’objet d’une intense surveillance depuis que cette région et d’autres provinces de la Chine ont été frappées par de nombreux attentats meurtriers attribués à des islamistes ou à des séparatistes ouïghours.
Génocide
En urgence, un sous-comité de la Chambre des communes sur les droits internationaux de la personne a étudié la situation en écoutant des témoins, experts et victimes ouïghours. Un rapport, diffusé en octobre 2020, statuait que ce groupe ethnique vivait un génocide.
«On n’a pas eu une portée médiatique à la hauteur de ce qu’on affirmait. Ça m’a un peu brassé la cage, exprime le vice-président du sous-comité, Alexis Brunelle-Duceppe. Une fois qu’on est confronté à ça, on ne peut faire autrement que se tenir debout devant ces horreurs.»

Comme le sort des Ouïghours en Chine restait inconnu au Canada, le député bloquiste les a liés aux Jeux olympiques de Pékin. Depuis, ce peuple fait la manchette, si bien que même les gens de sa circonscription du Lac-Saint-Jean l’arrêtent pour prendre des nouvelles.
Le chercheur du Cérium, Jocelyn Coulon, rappelle qu’en vertu d’une convention internationale signée en 1948, il y a obligation d’agir dès qu’un génocide est décrété.
Pour Amnistie internationale, les Jeux ne doivent pas servir à détourner l’attention du bilan catastrophique de la Chine en matière de droits humains. «Au contraire, ils doivent être l’occasion de faire pression sur ce pays pour qu’ils remédient à ce problème », plaide l’organisation.

Des Jeux avec des tensions internationales
1936: Plusieurs pays ont déploré qu’Adolf Hitler se soit servi des Jeux olympiques de Berlin en Allemagne pour faire sa propagande nazie.
1972: Des terroristes arabes ont pris en otage neuf athlètes de la délégation israélienne durant les Jeux olympiques de Munich en Allemagne, menant à plusieurs décès.
1976: 22 nations africaines ont boycotté les Jeux olympiques de Montréal après que le Comité international olympique (CIO) eut refusé de suspendre la Nouvelle-Zélande qui avait des contacts avec l'Afrique du Sud, sous le régime de l’apartheid.
1980: Les États-Unis n’ont pas envoyé d’athlètes aux Jeux olympiques de Moscou pour protester contre l'intervention militaire de l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) en Afghanistan. Une cinquantaine de pays ont pris la même décision.
1984: L’URSS a refusé à son tour d’envoyer une délégation aux Jeux olympiques d'été à Los Angeles, aux États-Unis. La décision des Soviétiques a été imitée par une quinzaine de pays.