Les illustrations d’un roman générées par l’IA choquent des illustrateurs québécois
Maude Larin-Kieran
Un roman graphique, dont les illustrations ont été totalement créées grâce à l’intelligence artificielle (IA), a fait réagir de nombreux illustrateurs québécois, qui contestent l’éthique derrière cette pratique.
«Le premier sentiment qui vient avec l’arrivée de l’IA, c’est vraiment l’inquiétude, la méfiance, mais aussi un sentiment d’injustice», explique la directrice générale d’Illustration Québec Stéphanie Lemétais.

Le roman graphique de 112 pages, intitulé Au-delà du brouillard, a été écrit par l’autrice française Roman Dalov, qui y dévoile son parcours bouleversant d’adolescente «TDAH et non diagnostiquée». L’acquisition des droits du livre par la maison d’édition québécoise Les Éditions Émotion a suscité du mécontentement sur sa page Facebook, puisque l’autrice a réalisé les images du livre avec l’aide de l’IA comme outil.
L’autrice du livre a elle-même créé les images en dictant à un logiciel d’IA génératif plusieurs contraintes à respecter afin d’arriver à l’image parfaite. Elle a ensuite retouché ses images à l’aide de Photoshop. Un processus qui lui a pris des centaines d’heures. Jointe par l’Agence QMI, elle défend sa démarche et estime que l’utilisation de l’IA est éthique si un humain supervise la création comme dans son cas.

«J’ai réécrit les prompts [une instruction destinée à une intelligence artificielle générative] au moins 100 fois pour chaque dessin jusqu’à avoir exactement ce que je voulais», explique l’autrice de 29 ans.
L’éditeur québécois derrière la maison d’édition, Max LaRoche, défend lui aussi l’utilisation de l’IA pour du travail d’illustration. Il voit l’IA comme une évolution inévitable.
«L’auto a remplacé les chevaux. L’ordinateur a remplacé les copistes. Il y a eu l’Internet. Il y a eu le cellulaire», explique-t-il.

L’association Illustration Québec s’oppose fermement à cette vision. Selon sa directrice générale, l’IA ne pourra jamais remplacer un travail créatif.
«On parle de création humaine et ce n’est pas comparable [à tous les métiers qu’on remplace par la technologie]. La création artistique, ça prend une sensibilité, une émotion, ça prend un humain derrière», explique Stéphanie Lemétais.
Réglementation exigée
L’éditeur et Illustration Québec s’entendent sur une chose: des réglementations doivent être mises en place concernant l’utilisation de l’intelligence artificielle.
«Tant que l’IA ne sera pas réglementée au Canada, je pense qu’il y aura toujours autant de méfiance et d’inquiétude de la part des illustrateurs», explique la directrice générale d’Illustration Québec.
Le hic avec l’IA serait d’abord relié aux droits d’auteur des artistes, selon elle.
«Quels que soient le temps et l’énergie que l’autrice y a mis et toutes les bonnes intentions du monde, l’image générée par l’IA se sera alimentée d’illustrations et de créations d’artistes qui n’auront pas nécessairement autorisé l’utilisation», explique-t-elle.
Mais est-ce que l’IA doit absolument créditer les artistes d’un point de vue législatif? Les lois sont floues concernant le droit d’auteur actuellement, et il serait possible que les logiciels d’intelligence artificielle générative aient le droit d’utiliser des images trouvées sur le Web afin de créer leur propre algorithme, selon le professeur de propriété intellectuelle et de méthodologie à la Faculté de droit de l’Université Laval, Georges Azzaria.
«Ce n’est pas clair pour moi qui va gagner un éventuel procès autour de ça, mais j’ai comme l’impression que les IA ont un peu plus de chances de gagner étant donné l’état du droit actuel», ajoute-t-il.
Baisse des contrats
Depuis l’arrivée de l’intelligence artificielle, l’association affirme que ses membres observent une diminution dans les tarifs et une baisse générale des contrats dans le domaine.