Les gardiens de la culture ont peur

Richard Martineau
Entendez-vous les directeurs et les directrices de nos institutions culturelles claquer des dents ?
D’un bout à l’autre du pays, ces valeureux fonctionnaires tremblent dans leurs culottes.
Au CRTC, à Téléfilm, à l’ONF, à Radio-Canada.
Dans les musées, les festivals, les universités, les bibliothèques.
Partout, ça grelotte, ça frissonne.
Ça frémit.
LES PLEUTRES
C’est qu’ils ont peur, nos gardiens de la culture !
Ils ont la chienne !
Quand ces intellectuels participent à des colloques gratos en Suède ou à des conférences tous frais payés au Japon, ils roulent des mécaniques !
Ils parlent de liberté, d’audace, de courage !
Ils vantent les artistes qui ont osé brasser la cage, penser à contre-courant, attaquer les bienpensants de leur époque !
Vive Le Caravage ! Dali ! Kandinsky ! Mapplethorpe !
Vive les artistes rebelles qui se tiennent debout devant les clergés de tout acabit !
Mais quand les mêmes défenseurs de la culture se retrouvent seuls dans leurs bureaux, c’est autre chose.
Ils se roulent en boule sous leur table de travail, en priant les cieux de ne pas être pris dans une controverse !
Oh, Seigneur, faites en sorte que je ne reçoive pas un courriel d’un internaute anonyme qui s’est senti offusqué par une expo, un film ou une émission de télévision !
Sinon, diantre, que vais-je faire ?
Je risque de perdre mon boulot !
Mon compte de dépenses !
Mon prestige ! Mes voyages !
Je ne suis pas un artiste courageux, moi, je ne suis qu’un petit fonctionnaire chétif !
Pique-assiette, pas Picasso !
Protégez-moi !
SORTONS LES CISEAUX !
Il suffit qu’un petit lapin se cachant sous le pseudonyme de Bizoune24 leur envoie un courriel à trois heures du matin leur disant qu’il a dû appeler son psy au beau milieu de la nuit après avoir entendu un chroniqueur de la radio publique prononcer un vilain mot pour que nos gardiens de la culture enfilent leur collet romain et se transforment en censeurs.
Vite, envoyons un blâme contre le méchant diffuseur qui a fait entendre le mot en N !
Oui, mais le chroniqueur en question citait le titre d’un classique de la littérature québécoise...
Ça ne fait rien, blâmons !
Oui, mais un membre distingué de l’Académie française a utilisé le même mot dans le titre d’un de ses livres...
Ça ne fait rien, sévissons !
Oui, mais le grand poète martiniquais Aimé Césaire tenait lui-même au concept de négritude...
Ça ne fait rien, censurons !
Oui, mais en 1983, la ciné-aste martiniquaise Euzhan Palcy a réalisé un magnifique long métrage intitulé Rue Case-Nègres, film qui a remporté 17 prix internationaux...
Ça ne fait rien, punissons !
Oui, mais Omar Bongo, l’ex-président de la République du Gabon, a publié un recueil d’entretiens intitulé Blanc comme nègre...
Ça ne fait rien, châtions !
Oui, mais en 1966, la revue Présence africaine, sous le parrainage du grand poète sénégalais Léopold Sédar Senghor, a organisé le Festival mondial des arts nègres, une exposition considérée comme l’un des plus grands événements de l’histoire culturelle africaine...
Ça ne fait rien, coupons !
Et ce sont ces petites choses qui contrôlent nos médias, nos musées et nos organismes subventionnaires ?
Ça serait hilarant si ce n’était si pathétique...