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Stéréotypes, consentement: on a regardé de vieux épisodes d’Occupation double et voici ce qu’on retient

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Photo portrait de Anne-Sophie Poiré

Anne-Sophie Poiré

2023-10-02T15:44:35Z
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Objet incontournable de la culture populaire québécoise, l’émission Occupation double offre un point de vue privilégié sur l’évolution des rapports de genre depuis son lancement en 2003. Comment la téléréalité, qui a longtemps appuyé très fort sur les stéréotypes sexuels, a-t-elle pu réinventer les codes du petit écran tout en maintenant le statu quo en matière de dynamique de couple?

• À lire aussi:«Occupation double» est-il un concept passé date?

«Quel est le rêve suprême d’une fille?» demandait en 2006 l’animateur Joël Legendre aux six candidates de la troisième saison d’Occupation double, devant la porte de la chambre d’une maison du Faubourg Pointe-aux-Prairies dans l’est de Montréal. 

«Être une princesse!» ont aussitôt répondu «les filles» en cœur, avant d’apprendre qu’elles pourraient essayer une «multitude de robes de mariée» grâce à Mariage Rive-Sud. 

Cette nouvelle, qui allait générer un tonnerre de cris extatiques et d’applaudissements, a été diffusée devant un auditoire de 1,8 million de personnes, soit près du quart de la population québécoise cette année-là. 

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«C’est très symptomatique de l’époque. Je ne pense pas que ce genre de choses passerait à la télévision aujourd’hui. Les filles ne rêvent pas d’être des princesses», avance Amélie Faubert, la créatrice et animatrice du balado Les Ficelles qui porte un regard féministe sur Occupation double

Le podcast cumule plus de 10 000 écoutes chaque semaine. 

L’intervenante sociale de 33 ans est une adepte de l’émission depuis la première édition en 2003, au moment où la téléréalité de masse mettait pour la première fois à l'écran au Québec de «vraies personnes» dans lesquelles le public pouvait se reconnaître. 

Le preux chevalier

«Occupation double a un effet de miroir. Ça nous montre comment était la société à un moment donné, souligne l’autrice et chargée de cours en études féministes et littérature à l’UQAM Laurence Pelletier, qui se spécialise dans la culture populaire. Et en 2006, on n’avait pas non plus tendance à poser un regard critique et féministe sur la séduction.» 

«Et il n’y avait rien pour challenger les stéréotypes», souligne pour sa part l’autre animatrice des Ficelles, l’humoriste Emna Achour. 

La fille en robe blanche prêtée par Mariage Rive-Sud se devait d’être vulnérable, passive et attendre qu’on la conquière. Tandis que le gars «macho» et certainement pas «homme rose», pour citer un questionnaire rempli par les candidats de l’édition 2006, se devait d’être agressif et avoir de l’initiative. 

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«Le discours était le même que dans les films de Disney avec lesquels on a grandi», rappelle Mme Pelletier. 

C’était aussi celui de David qui, en 2006, s’est félicité d’avoir su «guider» les filles lors de la traversée de la Caverne Lusk dans le parc de la Gatineau. 

«On a dirigé les filles, on voyait qu’il y avait quelques difficultés avec eux autres. On les a aidées à traverser cette petite épreuve qui a paru être un monstre», confie-t-il à la caméra. 

Il y a aussi eu les «Olympiades Pontiac». Lors de la troisième épreuve, les filles devaient reculer une tente-roulotte sur un terrain de camping en suivant les instructions des gars essoufflés d’exaspération devant leur conduite de «madame».

Dix-sept ans plus tard, cette dynamique existe toujours selon Amélie Faubert. 

«Les hommes pensent encore qu’ils doivent être des protecteurs, et il y a toujours une pression sur les femmes pour qu’elles démontrent à leur partenaire à quel point ils sont forts et qu’ils prennent soin d’elle», dit-elle. 

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«Juste la semaine dernière, les gars à OD se demandaient qui bench le plus et qui était le plus grand, ajoute sa collègue Emna Achour. Vraiment les gars? On établit notre valeur là-dessus en 2023?» 

Salope et misogynie internalisée

Et qu’arrivait-il dans le cas contraire, lorsqu’une candidate se montrait plus «entreprenante»? 

«J’ai eu l’air d’une salope», avait lancé en 2013 la candidate Ann-Sophie à Kaled, qui avait fait porter à la jeune femme l’odieux de leur relation sexuelle auprès des gars d’OD Espagne, mais surtout de sa «top 1», l’explosive Cintia. 

La scène est mythique. 

«Pendant cinq minutes, il est arrivé quelque chose. [...] Je ne veux pas me victimiser là-dedans, ça se fait à deux, mais elle est embarquée sur moi pis j’étais comme ok», avoue Kaled à Cintia. 

«Tu as fait l’amour avec?», demande-t-elle. 

«Ben, je n’appellerais pas ça faire l’amour, se disculpe Kaled. Je m’excuse, je m’excuse vraiment. Elle a complètement... je n’ai pas bougé. Juste pour te dire, ça ne me tente pas de te donner les détails, mais je n’ai pas bougé.» 

Blessée, Cintia ne fait ni une ni deux. Elle n’attend pas une seconde pour signifier sa façon de penser à sa colocataire. 

«On a une traînée parmi nous qui baise dans les voyages et qui ne dit rien et elle va sur lui. Pute! C’est dégueulasse», crache-t-elle à Ann-Sophie. 

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Pour Laurence Pelletier, la téléréalité a offert peut-être pour la première fois une fenêtre sur les relations et les tensions entre femmes alors presque invisibles dans la culture. 

«Le bavardage, le commérage, les disputes: ces histoires n’étaient pas valorisées à l’écran. On peut prendre plaisir à voir des femmes se quereller à la télévision, parce que ça reproduit des stéréotypes qui appartiennent à un système hétéronormatif dans lequel les femmes sont en compétition, veulent être l’élue et se battent pour le même prix», explique celle qui termine un doctorat en études littéraires et féministes à l’UQAM. 

«Ça ne m’a pas étonné qu’en 2006 les gars se disent plus machos qu’hommes roses, mais ça m’a marqué de voir à quel point les filles n’étaient pas solidaires contrairement aux nouvelles éditions d’OD», affirme quant à elle Amélie Faubert, pointant le manque de sororité et la misogynie internalisée des candidates. 

«C’était plus malaisant à regarder que le sexisme rampant», admet-elle. 

Laurence Pelletier constate aussi l’évolution des rapports sociaux entre les candidates d’Occupation double

«Aujourd’hui, on voit des filles plus entreprenantes, plus critiques, capables de détecter des comportements problématiques. On a arrêté de les monter les unes contre les autres.» 

L’absence du consentement

En visionnant des extraits de vieux épisodes d’OD, Emna Achour a été frappée par l’absence de la notion de consentement. Elle cite le moment où la candidate Mariper Morin est choisie pour passer la nuit dans la maison des gars. 

Elle devra porter «ce qui se trouve dans la boîte». En déballant le contenu du paquet, elle mentionne ceci à son amie: «Checke le t-shirt, je pensais que c’était pour un enfant au début.» 

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Une fois le petit pyjama revêtu, un des candidats lui demande «qu’est-ce que tu vas faire avec quatre boys de même», avant qu’un autre la presse de savoir dans quel lit elle dormira. 

Un tirage au sort a établi que ce serait dans celui de Robin, bien que Maripier préférera le lit de David avec qui elle se sent plus à l’aise. 

«J’avais juste envie de rentrer dans mon plancher», lance Emna Achour. 

«On a décidé ce qu’elle allait porter, dans quel lit elle allait dormir! Et elle qui joue le jeu, parce que c’était à cette époque où il fallait à tout prix protéger l’ego des hommes. À quel point la production a tout fait pour que son consentement ne soit pas respecté», dénonce l’animatrice des Ficelles.

À 33 ans, elle estime que ce genre de scène a teinté la manière dont elle percevait les rôles sexuels. 

«J’écoutais à une époque où on ne comprenait pas les dynamiques de couples. Je voyais ça comme la vérité», dit-elle. 

Maripier Morin a récemment confirmé que son passage à OD ne s’est pas fait sans séquelles. 

«C’est là où j’ai installé quelque chose dans mon cerveau et dans mon for intérieur que j’étais un échec, que j’étais une mauvaise personne et que je ne méritais pas d’être», a confié l’animatrice à son émission de radio matinale sur les ondes de WKND 99,5. 

«C’est avec les ficelles et mon propre travail de déconstruction que j’ai compris à quel point OD n’était pas un modèle à suivre, conclut Emna Achour. C’est juste un exemple. Et une maudite chance que plus d’options existent pour bâtir autrement nos relations de couple.» 

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