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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

«C’est le système qui nous sacre dehors»: les fermetures de RPA suscitent des craintes chez des aînés

Des personnes âgées se voient à la merci des gros exploitants sur le marché

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Photo portrait de Jean-François Racine

Jean-François Racine

2023-04-08T04:00:00Z
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La fermeture de nombreuses résidences privées pour aînés (RPA) inquiète plusieurs personnes âgées qui craignent de se voir «jeter en pâture» aux quelques gros exploitants toujours en activité.

Au cours des derniers mois, plusieurs RPA de la région ont annoncé leur fermeture. La plus récente, le Domaine Parc des Braves, s’ajoute à La Seigneurie de Salaberry, La Seigneurie de Lévy et La Villa Sainte-Foy.

Photo Jean-François Racine
Photo Jean-François Racine

À 87 ans, Gérard Lamontagne quittera bientôt la Villa Sainte-Foy pour un nouveau logement situé à Vanier. Avant de partir, il souhaite dénoncer la situation. Il a même écrit à la ministre Sonia Bélanger.

«Je ne veux pas parler contre la maison ici ni celle où je vais. C’est le système qui nous sacre dehors. Ils nous promettent de l’accompagnement, mais on ne voit pas personne», affirme l’octogénaire.

De l’aide juridique

M. Lamontagne aurait notamment aimé que des avocats expliquent aux résidents les détails des baux de location.

«Il faut dire aux gens quels sont leurs droits lorsqu’une RPA ferme. Les gens âgés sont soumis, ils ne veulent pas de trouble, mais où iront-ils lorsqu’ils ne pourront plus payer? En dessous des ponts?»

Selon lui, la disparition des plus petites RPA n’est pas de bon augure pour les gens moins fortunés. Lui-même devra débourser quelques centaines de dollars de plus par mois, en prenant un repas de moins. Il ne reste plus grand-chose pour ses dépenses personnelles et les imprévus, comme les soins dentaires, qu’il a choisi d’abandonner.

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M. Lamontagne aurait pu choisir de demeurer à la Villa Sainte-Foy, mais sans service et sans le crédit d’impôt associé à la vie en RPA.

«Beaucoup de gens coupent aussi des repas pour être capables de payer. J’aime mieux donner mon argent à mes petits-fils qu’à des grosses maisons. À mon âge, je ne veux pas recommencer à faire mon épicerie. Je vais aller mourir ailleurs.»

Vif d’esprit, Gérard Lamontagne soutient que plusieurs voisins de son immeuble ne sont pas en mesure de se défendre comme lui. «Ma voisine a 95 ans, un autre a 97 ans. Tu ne déménages pas comme ça. Certains ne savent pas où ils sont, alors ils ne savent pas où ils vont! Ce n’est pas drôle.»

Sécurité et soins

Les plus récentes révélations sur le coût de construction par place dans certaines maisons des aînés le choquent tout autant.

Actuellement, le coût moyen d’une chambre dans une des 46 maisons des aînés, dont la construction est en cours, est de 696 600$. Il semble que les entrepreneurs soient moins nombreux et les soumissions, plus élevées que prévu.

«Les vieux ne veulent pas rester dans des châteaux. Ils veulent rester dans des places sécuritaires, avoir des soins et manger comme du monde. Il faut arrêter de barouetter les vieux qui sont en train de mourir. Je ne peux pas m’empêcher de défendre les démunis et les plus faibles même à mon âge.»

«On est très inquiet de cette situation. En moyenne, il y a une centaine de RPA qui ferment par année au Québec. La majorité sont à prix abordable», précise Pierre Lynch, président de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR).

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Des centaines de fermetures

  • Plus de 300 RPA ont fermé depuis janvier 2021 à l’échelle provinciale
  • Plus de 500 RPA ont fermé depuis 5 ans à l’échelle provinciale. 
  • Capitale-Nationale : plus de 20 RPA ont fermé dans la région depuis 2020.
  • Pour sauver les résidences, le RQRA réclame un crédit d’impôt sur leur masse salariale. 
  • D’ici 2040, environ 26% de la population aura plus de 65 ans. 

Source : Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA).     


La fermeture de la Villa Sainte-Foy 

Lettre écrite par Gérard Lamontagne

Madame la ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, Sonia Bélanger,

Le 13 décembre 2022, le CIUSSS de la Capitale Nationale a été avisé que la résidence Villa Sainte-Foy cessera toute activité à titre de résidence privée pour aînés à partir du 10 septembre 2023. Les résidents ont été informés le 28 février, soit près de trois mois après vous. Que s’est-il passé au CIUSSS au cours de cette période? Les résidents n’auraient-ils pas pu être consultés et invités à suggérer des solutions? Comme consentir à des hausses de location? Non. Les actionnaires n’y retrouvaient plus leur profit! La décision était prise et vous aviez compris.

Votre ancienne ministre responsable des Aînés, madame Marguerite Blais, aurait certainement versé un «ruisseau de larmes» si elle avait assisté à l’annonce du 28 février. Elle aurait pu constater le désarroi, l’angoisse et la panique qui se sont manifestés chez les quelque 100 résidents âgés de 65 à 97 ans qui devaient quitter leur supposée dernière escale. Non, ce n’était maintenant plus leur dernière demeure; ils allaient devoir aller mourir ailleurs. Et qui sait s’ils devraient encore déménager?

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Dans la lettre que le CIUSSS nous remettait le 28 février, il est mentionné que des intervenants allaient nous rencontrer... Qu’est-ce que ça voulait dire, madame la ministre Bélanger? À date, personne ne s’est présenté. J’aurais pensé que vous nous aideriez à comprendre nos droits lors d’une fermeture de résidence et certaines particularités de la loi lors de la signature de nouveaux baux. Que vous nous aideriez à évaluer les conséquences à long terme des pièges promotionnels utilisés par les résidences comme outils de marketing pour attirer une clientèle qui ne s’y retrouve pas. Peut-être faudra-t-il déménager de nouveau à la fin de la promotion? Aucune aide de nulle part. Et les personnes âgées mal informées en perte d’autonomie intellectuelle et avec des problèmes d’acuité visuelle vivent dans une angoisse incommensurable.

Après le premier choc, c’est la panique pour trouver une nouvelle dernière escale. Il faut se dépêcher, il va manquer de place. L’insécurité de la vieillesse se manifeste au grand jour. Les investisseurs, les professionnels des retours sur investissement, dont plusieurs sièges sociaux sont hors Québec, vont s’en donner à cœur joie. Eux, ils ont compris que la société vieillissante a besoin d’un endroit pour vivre et donnent l’impression de vouloir siphonner le maximum des revenus des nouveaux arrivants.

Une importante organisation de marketing se met en place, et les multinationales, les conglomérats, les gros propriétaires de résidences distribuent des pamphlets artistiquement décorés démontrant «des jeunes vieux toujours heureux». Pourtant, on n’a pas le cœur à la fête à la Villa Sainte-Foy. «Venez vivre dans notre palais de joie de bonheur», nous répètent-ils. Nous l’étions déjà; on nous l’enlève. Devrions-nous vous croire?

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Première remarque des vendeurs: ne vous attendez pas à payer le même prix que vous payez ici. «Un homme averti en vaut deux». Mais vous aurez beaucoup mieux. Si je ne veux pas mieux? Alors oui, avec ces gens, ça coûte beaucoup plus cher ailleurs. En sus de votre logement, si vous ne prenez qu’un seul repas par jour, ce sera 415$ par mois; pour deux repas, 715$; je ne peux pas payer le 300$, je vais donc faire avec un repas par jour. Plusieurs adoptent cette solution: la seule partie compressible de leur budget pour arriver à joindre les deux bouts.

Et puis, il ne faudra pas être malade, parce que là, rien de gratuit. Une prise des signes vitaux, 8,50$ l’unité; une goutte dans un œil, 3$; un lavage d’oreilles, 29$; un pansement, 5$, etc. Tout est bien détaillé. Heureusement que nos mères et nos infirmières ne fonctionnaient pas à la pièce. Et pourtant, aujourd’hui, maintenant que le temps de se reposer et de vivre un peu est arrivé, c’est l’horreur qu’on leur impose.

C’est ce brin de réflexion que m’a inspiré la fermeture de la Villa Sainte-Foy, où vivaient une centaine et plus de personnes heureuses, qu’on force à chanter leur denier cantique ailleurs, pour celles qui survivront au stress du déménagement. Ces êtres humains se croyaient protégés par la génération des enfants qu’ils ont mis au monde, aimés et auxquels ils ont consacré le meilleur d’eux-mêmes. Il y a quelque chose de malsain dans notre société, où les aînés en fin de vie sont «barouettés» d’une place à l’autre et réduits à devoir manger leur toast pas de beurre.

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