Les experts surveillent la propagation des maladies et la résistance des bactéries
Attention: maladies émergentes, un grand dossier


Roxane Trudel
Les experts à l’affût un peu partout
Surveillance, épandage vaccinal, intervention ciblée ; des experts demeurent à l’affût des maladies déjà connues qui pourraient entraîner de lourdes répercussions si elles venaient à se développer, tant au Québec qu’à l’échelle mondiale.
«Il y a certaines maladies qu’on peut contrôler, mais il y en a d’autres qu’on surveille de près parce qu’il pourrait y avoir des conséquences pour la santé humaine ou les élevages», explique Ariane Massé, biologiste pour le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.
Des laboratoires, des universités, des ministères et l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) se partagent cette lourde tâche de surveillance.
L’objectif des chercheurs: détecter rapidement l’apparition d’une maladie pour la contrôler avant qu’elle prenne de l’expansion.
«Les maladies connues, on les surveille déjà, ajoute Julie Ducrocq, conseillère scientifique spécialisée à l’INSPQ. Reste à voir ce qui est inconnu. On ne peut pas échantillonner tous les animaux de la terre pour voir ce qu’ils ont individuellement».
Pour la même raison, il n’est pas toujours facile de dresser un juste portrait de la présence d’un virus, d’une bactérie ou autre.
Au Québec, ce sont surtout les maladies qui arrivent de l’étranger qui inquiètent, poursuit Mme Ducrocq.
«On craint qu’il y ait de nouveaux pathogènes qui proviennent des animaux, surtout des animaux sauvages», dit-elle.
Potentiel contagieux
Certaines maladies bien connues sont surveillées de plus près parce que leur potentiel contagieux est plus inquiétant.
C’est le cas de la grippe aviaire, cette variante de l’influenza qui, une fois mutée, peut se propager chez l’humain.
«Les médecins vétérinaires vont faire des suivis des élevages, et au niveau sauvage, il y a des échantillonnages un peu partout sur la planète», souligne Mme Ducrocq.
Stéphane Lair, directeur du Centre québécois sur la santé des animaux sauvages, juge qu’«au Canada, on a la chance d’avoir un système de surveillance pancanadien».
«Différents laboratoires et les facultés de médecine vétérinaire s’occupent de faire une surveillance sur les causes de mortalité des animaux sauvages», explique-t-il.
Les chercheurs ont l’œil ouvert sur les maladies prépondérantes chez les animaux et insectes qui peuvent affecter la santé humaine ou animale.
Par exemple, des pièges spécialisés dans la capture de l’espèce de moustique qui peut être porteuse du virus du Nil occidental sont répandus là où l’on peut en trouver.
Le hic, c’est que ce genre de surveillance est tellement adapté à une espèce qu’il ne permet pas d’étudier les autres moustiques présents, déplore Karl Forest Bérard, conseiller scientifique pour l’INSPQ

Un moustique, 20 virus
En 2016, il était responsable d’un projet exploratoire visant à élargir la surveillance de moustiques à d’autres espèces pour détecter leur présence à la frontière.
Les chercheurs craignent, entre autres, l’arrivée d’une nouvelle espèce de moustique des États-Unis, l’Aedes albopictus, qui peut propager plus de 20 virus.
Après la surveillance des maladies chez les animaux et les insectes, viennent – si possible – les opérations d’intervention, pour tenter de contrôler, voire d’éradiquer, une maladie.
S’informer pour se protéger

Dans certains cas, comme pour la maladie de Lyme, on doit cependant se contenter de miser sur la sensibilisation.
«Si tu ne sais même pas ce qu’est une tique, comment veux-tu adopter des comportements préventifs et être sensibilisé à faire un examen et retirer les tiques avant la transmission?» soulève Catherine Bouchard, vétérinaire épidémiologiste.
L’Organisation mondiale de la santé vient d’annoncer la création d’une équipe dédiée à enquêter sur les nouveaux agents pathogènes.
Vacciner... les ratons !
Au Québec, on a réussi à éradiquer complètement la rage du raton laveur qui sévissait entre 2006 et 2009, grâce à une vaste opération d’épandage vaccinal.
Les vaccins, sous forme d’appâts appétissants, étaient relâchés sur le territoire par voie aérienne.
«C’est le parfait exemple d’un succès avec des interventions de contrôle et de vaccination», commente Ariane Massé.
Comme la rage du raton est encore présente aux États-Unis, une surveillance ciblée est toujours effectuée dans les zones les plus à risque, en Estrie et en Montérégie.
Traitement pour les souris, caché dans du beurre d’arachides
Par le passé, on a aussi tenté de réduire le nombre de cas de maladie de Lyme en traitant la souris, le réservoir de la bactérie Borrelia burgdorferi, avec un acaricide caché dans du beurre d’arachide, rapporte Catherine Bouchard, vétérinaire épidémiologiste.
Car la tique n’est qu’une aiguille souillée qui tire la bactérie de ce qu’elle pique (la souris), illustre-t-elle. Puis, en piquant à nouveau, elle transmet la bactérie à l’humain.
Mais dans ce cas-ci, une telle intervention n’a pas été suffisante, précise-t-elle.
Les antibiotiques : indispensables et tenus pour acquis
Les bactéries résistantes aux antibiotiques pourraient devenir la première cause de mortalité d’ici 2050 si on ne trouve pas de solutions.

«On tient les antibiotiques pour acquis parce qu’on ne succombe plus aux infections bactériennes [grâce à eux], mais on est loin d’avoir conquis les pathogènes bactériens. On est très vulnérables», martèle la Dre Dao Nguyen, professeure à l’Université McGill.
Utilisés massivement en agriculture pour favoriser la croissance des animaux et prescrits à outrance pour soigner le moindre bobo, les antibiotiques sont indispensables pour lutter contre les infections.
Dépendants aux antibiotiques
«On est dépendants [aux antibiotiques], précise la chercheuse. [Par exemple], les chirurgies seraient très dangereuses si on ne pouvait pas prévenir les infections.»
Sauf qu’à force de les employer à toutes les sauces, on élimine les bactéries qui succombent aux antibiotiques en laissant le champ libre à celles qui possèdent une résistance pour se multiplier et partager leurs gènes résistants. Ce phénomène s’appelle l’antibiorésistance.
«C’est une grosse sélection naturelle. Les bactéries qui sont résistantes vont se mettre à dominer, et parmi celles-là, il y en a parfois [qui peuvent provoquer des maladies]», résume Sylvain Moineau, professeur de microbiologie à l’Université Laval.
L’antibiorésistance est déjà observée dans nos hôpitaux chez certains patients qui sont aux soins intensifs depuis un bon moment, explique Guy Boivin, médecin microbiologiste infectiologue et chercheur au CHUL.
«On craint que [les bactéries résistantes] se transmettent et qu’on ne soit plus capables de traiter des infections bénignes, qui peuvent devenir plus importantes, prévient-il. Il faut s’en occuper dès maintenant.»
Mieux encadrer
Les chercheurs sont sans équivoque : il faut limiter et encadrer l’usage d’antibiotiques en attendant de trouver d’autres options, au risque d’avoir tout un problème à l’échelle mondiale.
«On a besoin de meilleurs diagnostics, pour déterminer les bons remèdes au lieu d’essayer de deviner», poursuit Dao Nguyen.
Outre la recherche de nouveaux antibiotiques, certaines pistes de traitements alternatifs, comme les virus qui luttent contre les bactéries, sont explorées, mais il reste beaucoup de travail à faire.
«Ce sont des défis très différents de ceux auxquels on est habitués. Il faudra être créatifs», conclut-elle.
La surveillance citoyenne, un concept avec le vent dans les voiles
La population aussi peuvent contribuer à la surveillance de la faune et la flore dans son quotidien en participant à des projets de «science citoyenne».

«On recrute et on forme des gens qui travaillent à l’extérieur, et qui, de par leur travail, sont exposés à l’environnement», explique Karl Forest-Bérard, conseiller scientifique à l’INSPQ.
Depuis 2019, le conseiller est en charge d’un projet de surveillance citoyenne qui vise les tiques et les moustiques. Cette méthode d’échantillonnage fait d’une pierre deux coups: les participants sont à la fois formés pour effectuer de la collecte de données au quotidien, mais aussi pour sensibiliser leur entourage aux bonnes pratiques à adopter.
Karl Forest-Bérard Courtoisie L’un des avantages, c’est que ces scientifiques amateurs sont déjà sur le terrain, jour après jour. «Avec les tiques [par exemple], [un scientifique] peut passer deux fois au même endroit sans avoir le même résultat. La science de terrain comporte beaucoup d’aléas et de variabilité», poursuit l'expert.
La science citoyenne peut servir à répertorier des espèces invasives ou menacées, mais aussi des phénomènes météorologiques par exemple. «Il y en a pour tous les goûts», conclut-il.
L’un des avantages, c’est que ces scientifiques amateurs sont déjà sur le terrain, jour après jour. «Avec les tiques [par exemple], [un scientifique] peut passer deux fois au même endroit sans avoir le même résultat. La science de terrain comporte beaucoup d’aléas et de variabilité», poursuit l'expert.
La science citoyenne peut servir à répertorier des espèces invasives ou menacées, mais aussi des phénomènes météorologiques par exemple. «Il y en a pour tous les goûts», conclut-il.