Les éternels oubliés de la pandémie


Josée Legault
« Tanné ». Après deux ans de pandémie, c’est le mot le plus entendu. Comment vas-tu ? Tanné. Et toi ? Tanné. Même les premiers ministres confessent qu’ils sont tannés.
Tellement tannés que les plus enragés, parqués devant le parlement fédéral, les fesses lourdement trempées dans leur jacuzzi payé par l’extrême droite américaine, réclament LEUR liberté. Celle des autres, ils s’en contrefichent.
Puis, il y a la vaste majorité des Canadiens. Tannés, mais selon les sondages, néanmoins prudents. Conscients d’une pandémie qui n’a pas dit son dernier mot, le respect des mesures sanitaires demeure pour eux un geste important de protection.
Puis, il y a les gouvernements. Tannés. Sous haute pression, ils lèvent un maximum de mesures sanitaires dans un minimum de temps. Comme si la pandémie s’évaporait. Comme si notre réseau de santé ne croulait plus.
Respirer un peu, il le faut bien pourtant. Même des experts indépendants souhaitent un certain déconfinement, dont la levée du passeport vaccinal annoncée hier par le ministre de la Santé Christian Dubé. Ils le conseillent toutefois très, très graduel.
Ceux qu’on oublie
Puis, il y a les éternels oubliés. Pendant que plusieurs se réjouissent à la pensée de prendre enfin un verre en paix dans un bar, des milliers de femmes et d’hommes attendent encore qu’on les « libère ».
Dans les CHSLD, RPA et ressources intermédiaires (RI), des milliers de Québécois fragiles, aînés ou adultes handicapés intellectuels, y résident. Or, plusieurs se voient encore confinés pendant 3, 5 ou 10 jours et nuits d’affilée.
Dès qu’il y a soupçon de COVID, venant souvent d’employés non vaccinés, on les enferme dans leur petite chambre. Enfermer, comme dans détenir, emprisonner, parquer, etc. Comme dans une cellule.
Des préposés, lorsqu’ils ont le temps, viennent leur porter leurs repas. Les lavent à la mitaine. Pour tous ceux et celles qui n’ont pas de salle de bain privée, ils leur mettent des couches. Ou leur font faire leurs besoins dans des chaises d’aisance. Vous le feriez, vous ?
Sur le site de Radio-Canada, le journaliste Thomas Gerbet en faisait hier le récit navrant. Il racontait l’histoire d’un homme en situation de handicap intellectuel. Confiné à sa chambre d’un CHSLD. Sans accès même à une douche ou un bain.
Pas un « cas spécifique »
Le ministre Dubé dit qu’il demandera des vérifications aux PDG des CIUSSS. Parler aussi aux familles touchées serait une excellente idée. Elles pourraient lui expliquer ceci.
La situation aberrante que vit cet homme n’est pas un « cas spécifique ». On en retrouve dans d’autres CHSLD, RPA et RI.
Imaginez aussi l’enfer pour des personnes déficientes intellectuelles, jeunes ou vieilles. Encabanées dans une petite chambre. Des jours et des nuits de temps. Incapables souvent de comprendre même ce qui leur arrive.
Pendant ce temps, les employés, même non vaccinés, entrent et sortent à leur guise.
Selon les CIUSSS et les circonstances, même le retour d’une visite de 24 heures ou plus dans leur famille peut valoir à des personnes handicapées intellectuelles d’être consignées à leur chambre pour plusieurs jours.
Résultat : pour ne pas imposer un tel enfermement à leur être cher, des familles doivent les priver de visites, pourtant vitales. Tannées, elles le dénoncent depuis des mois.
Imaginez en plus de devoir vivre ça pendant que le « reste » de la société se déconfine à vitesse grand V. Dans l’univers parallèle des personnes vulnérables, qui criera les mots « liberté » et « respect » en leur nom ?
Puisqu’il nous faut apprendre à « vivre avec le virus », il est sûrement possible de protéger les résidents des CHSLD, RPA et RI, tout en cessant de les enfermer dans leur chambre comme s’ils étaient des prisonniers de guerre.