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L'article provient de Bureau d'enquête

Les chiffres cachent des tragédies

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Photo portrait de Jean-Louis Fortin

Jean-Louis Fortin

2022-02-12T05:00:00Z
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Ça peut sembler difficile à croire dans une société riche comme la nôtre, mais 142 personnes sont mortes de froid depuis 2015 au Québec.

J’ai été à la fois surpris et horrifié par l’ampleur de ce chiffre lorsque le Bureau du Coroner nous l’a communiqué, il y a quelques semaines. 

J’avais bien en mémoire une poignée de cas qui ont défrayé la manchette. Celui de Hélène Rowley Hotte, la mère de Gilles Duceppe, décédée tragiquement en 2019 à 93 ans après avoir été embarrée à l’extérieur de la résidence pour aînés où elle résidait. Ou encore, la triste histoire de cet itinérant retrouvé sans vie dans une toilette chimique à Montréal en janvier 2021.

Mais 142 morts par hypothermie en si peu de temps? Ça fait beaucoup. Manifestement, la majorité de ces hommes et femmes sont morts sans que leur histoire soit racontée et qu’on puisse en tirer des leçons.

Amas d’informations

La tâche pour retrouver ces victimes s’annonçait ardue. Nous avions entre les mains des centaines de pages de rapports, qui contiennent des informations comme le nom, l’âge et le sexe de la personne décédée ainsi que l’endroit du décès. S’y ajoutent des explications sur les circonstances de la mort, et des résumés d’analyse toxicologique ou de ce que des témoins ont dit au Coroner.

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Difficile de dégager une tendance à travers cet amas d’informations.

Il y a quelques années, ces documents auraient probablement ramassé la poussière sur le coin d’un bureau de la salle de rédaction, ou auraient été oubliées dans les méandres d’un disque dur.

Mais grâce à l’ingéniosité de notre recherchiste Charles Mathieu, qui spécialise dans le journalisme de données, nous avons pu faire parler ces rapports.

Une partie du code utilisée par notre recherchiste Charles Mathieu pour le robot qui a permis de faire le dossier sur les morts de froid.
Une partie du code utilisée par notre recherchiste Charles Mathieu pour le robot qui a permis de faire le dossier sur les morts de froid. Capture d'écran

Charles a conçu un robot en utilisant le langage de programmation Python, bien connu des spécialistes de la programmation informatique. Python existe depuis une trentaine d’années, mais dans le cadre de notre travail de journalisme d’enquête, son utilisation est très récente.

Le robot a extrait automatiquement toutes les informations importantes des rapports, et généré un fichier Excel qui permettait de trier et comparer rapidement l’information.

Et là, les statistiques ont parlé. Elles nous ont permis de mettre en lumière des histoires humaines et des enjeux de société.

On constatait en un clin d’oeil que 21 décès sont survenus dans des communautés autochtones, surtout au Nunavik. Plus troublant encore, 14 de ces 21 morts avaient 40 ans et moins. 

Alcoolisme et détresse

Même des intervenants qui habitent ces communautés du Nord du Québec ont été surpris lorsque nous leur avons présenté nos constats. 

Ils ont pu décrire la triste réalité de nombreux jeunes de ces communautés isolées: alcoolisme, détresse psychologique, déplacements dans des conditions hostiles sans préparation ni équipements adéquats.

Ces jeunes autochtones sont morts de froid dans l’oubli. Mais grâce au journalisme de données, ils ne sont plus relégués au rang de simples statistiques.

Jean-Louis Fortin
Directeur du Bureau d’enquête

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