Après la pandémie, l'inflation et la pénurie de main-d’œuvre compliquent l'organisation de festivals

Cédric Bélanger et Sarah-Émilie Nault
Freinés depuis deux ans par les règles sanitaires, les festivals de musique et d’humour québécois doivent surmonter de nouveaux obstacles au moment où la pandémie de COVID-19 leur laisse enfin du répit: la rareté de la main-d’œuvre et la hausse des coûts provoquée par l’inflation.
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Même si la tenue d’aucun événement n’est remise en question et que personne ne crie à la catastrophe, partout au Québec, plusieurs organisations doivent déployer des efforts jamais vus pour réunir le personnel nécessaire à la bonne marche de leurs festivals et équilibrer les budgets (voir autre texte plus bas).
«Recruter dans tous les secteurs a été difficile», constate Laurent Saulnier, vice-président à la programmation et la production d’Équipe Spectra, qui organise les Francos et le Festival international de jazz de Montréal.
«On reçoit beaucoup moins de curriculum vitae que d’habitude», ajoute le patron de Juste pour rire, Patrick Rozon.
«Nous avons dû faire la tournée des cégeps et des universités. C’est un défi qui demande énormément de temps et fait perdre de l’argent», expose le directeur général du FestiVoix de Trois-Rivières, Thomas Grégoire.
Vont-ils se présenter?
Au Festival d’été de Québec, l’aménagement du site des plaines d’Abraham, où défileront les Maroon 5, Alanis Morissette et Rage Against The Machine, au mois de juillet, s’amorce demain matin après une course contre la montre qui a notamment impliqué l’achat de publicités sur Facebook pour trouver tous les ouvriers spécialisés requis.
«Pour les trois prochaines semaines, nous avons les équipes pour accomplir ce qui est à l’horaire. On est correct, mais est-ce que tous les gens vont se présenter lundi ? Je ne le sais pas», se demandait la directrice générale, Anne Hudon, il y a quelques jours.
Généralement, le ComediHa! Fest-Québec a besoin de 150 à 200 bénévoles pour assurer son bon déroulement. Actuellement, «j’en ai 50», révèle sa directrice générale, Josée Charland.
«J’espère que les gens vont répondre à l’appel, sinon il va falloir être créatifs et trouver des solutions. S’il faut, je vais aller vendre des billets», dit-elle à la blague.
Techniciens et agents de sécurité recherchés
À La Noce, à Saguenay, l’organisation n’a pu trouver tous ses techniciens de son et de scène dans la région. «Je suis obligé d’aller dans ma banque de contacts et d’amis qui sont à Québec et Montréal», indique le directeur Frédéric Poulin, qui peine aussi à trouver des véhicules de location et des agents de sécurité.
«J’ai demandé à Garda et ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas soumissionner parce qu’ils n’ont pas assez d’effectifs. Je me cherche une équipe complète. Je n’ai pas assez de gens au Saguenay pour le faire seul et je n’ai pas un chef de sécurité qui peut gérer son équipe. Au pire, si je n’ai pas tous les agents qu’il me faut, on va demander à des bénévoles de surveiller les portes situées à des endroits moins judicieux», affirme M. Poulin.
Les rendez-vous en juin...
FRANCOS DE MONTRÉAL
Du 10 au 18 juin à Montréal
- Loud, Louis-Jean Cormier, Émile Bilodeau
- https://www.francosmontreal.com
FESTIVAL DE LA CHANSON
Du 16 au 19 juin, à Tadoussac
- Diane Dufresne, Vincent Vallières, Patrice Michaud
- www.chansontadoussac.com
FESTIVAL Dr MOBILO AQUAFEST
Du 20 au 26 juin 2022
- Sèxe Illégal, Virginie Fortin, Yannick de Martino
- https://www.drmobilo.com/
LA NOCE
Du 29 juin au 2 juillet, à Chicoutimi
- Daniel Bélanger, Men I Trust, Hubert Lenoir
- www.lanoce.net
FESTIVAL EN CHANSON
Du 30 juin au 9 juillet, à Petite-Vallée
- Salebarbes, Paul Daraîche, Émile Bilodeau
- www.festivalenchanson.com
FESTIVAL INTERNATIONAL DE JAZZ
Du 30 juin au 9 juillet à Montréal
- Dominique Fils-Aimé, Ludovico Einaudi, Manchester Orchestra
- https://www.montrealjazzfest.com/
FESTIVOIX
Du 30 juin au 10 juillet à Trois-Rivières
- NOFX, Simple Plan, Les Cowboys Fringants
- https://festivoix.com/fr/
Ce qu’ils ont dit...
«Étant donné que cette situation affecte tout le monde, nous essayons entre producteurs de nous échanger des employés. C’est à dire, au lieu d’avoir un contrat de deux semaines pour un seul événement, on les engage ensemble pour une durée de deux mois.»
– Patrick Rozon, vice-président, contenu francophone, et directeur général et artistique de Juste pour rire
«Étant donné la pandémie, nous avons joué de prudence cette année et nos besoins sont moindres, de sorte que nous allons bien nous en sortir.»
– Josée Charland, directrice générale de ComediHa !
« On va dire aux artistes que nous allons essayer de garder le plus possible la même installation sur scène, entre les concerts, parce qu’on manque de main-d’œuvre. »
– Sébastien Huot, directeur général de Festivent, à Lévis
«La grande inconnue, c’est qu’on ne sait pas combien de gens sont prêts à venir dans de grands événements.»
– Laurent Saulnier, vice-président à la programmation et à la production d’Équipe Spectra
Tous victimes de l’inflation
L’inflation frappe de plein fouet les festivals québécois, qui doivent absorber des hausses de tarifs pouvant aller jusqu’à 50 %.
«Tout est plus cher», lance le patron du Festif! de Baie-Saint-Paul, Clément Turgeon.
«Pour la même soumission qui était à 15 000 $ auparavant, aujourd’hui, ça peut monter à 23 000 $, notamment à cause du prix de l’essence. Par exemple, les toilettes chimiques, il faut aller les chercher à Gatineau», ajoute-t-il.
La hausse des coûts touche autant la rémunération du personnel et des artistes, la location des équipements de scène, d’éclairage et de sonorisation, des véhicules, des clôtures, des toilettes, des fournitures de bars et de restauration.
«Ça va de 15 %, à 30-40, voire même 50 % plus cher», selon Thomas Grégoire, du FestiVoix de Trois-Rivières.
«Chez nous, tout ce qu’on loue vient de Québec, Chicoutimi ou Montréal. Les coûts de livraison ont explosé», fait savoir le directeur général du Festival de la chanson de Tadoussac, Julien Pinardon.
De 4,2 M$ à 4,8 M$
Selon Laurent Saulnier, d’Équipe Spectra, «c’est l’accumulation qui change la donne. Ça devient un véritable enjeu budgétaire.»
Au FestiVoix de Trois-Rivières, l’édition 2020 qui a été annulée par la pandémie devait être la plus grosse de l’histoire de l’événement avec un budget de 4,2 millions de dollars. «En 2022, pour réaliser sensiblement la même chose, nous sommes rendus à 4,8 millions pour le moment», note Thomas Grégoire.
De son côté, la directrice du Festival d’été, Anne Hudon, soumet qu’il y a une limite à l’augmentation de salaire que son événement souhaite consentir à sa main-d’œuvre saisonnière afin de «conserver une équité avec les employés réguliers».
Aide cruciale des gouvernements
Malgré tout, personne ne crie encore famine, principalement grâce aux subventions liées à la COVID de Québec et Ottawa qui restent en vigueur.
«Les deux paliers de gouvernement ainsi que le municipal ont vraiment répondu présents. Il fallait qu’ils soient là pour la relance», se réjouit Patrick Kearney, qui dirige le festival Santa Teresa, qui avait lieu du 19 au 22 mai.
Il reste à voir pendant combien de temps les gouvernements répondront présents, estime Clément Turgeon. «À l’avenir, si le gouvernement retire les subventions liées à la COVID, ça va être un enjeu. Pour embaucher, il faudra être plus généreux et ça va prendre plus de sources de revenus.»
Hausse raisonnable du prix des billets
Malgré l’inflation galopante, les festivaliers ne seront pas frappés par une augmentation draconienne du prix des billets en 2022.
Le soutien financier des différents paliers de gouvernement, en lien avec la pandémie, a permis d’éviter un choc tarifaire à la billetterie.
En général, les hausses demeurent raisonnables.
À Trois-Rivières, le FestiVoix a fait grimper le tarif de ses passeports de 49 $, en 2020, à 59 $, en 2022.
«On a augmenté moins que l’inflation que nous subissons», fait remarquer le directeur Thomas Grégoire.
Le Festivent de Lévis a aussi haussé ses passeports de 10 $, qui sont maintenant à 49,99 $ en prévente au lieu de 39,99 $.
Ça ne bouge pas à Tadoussac
Au Festival de la chanson de Tadoussac, les prix n’ont pas bougé. «On n’a pas voulu augmenter les prix parce qu’on sait que ça demande un bon budget de transport et d’hébergement pour se rendre à Tadoussac. On espère que les différents programmes de subvention prendront en compte la hausse du coût de la vie», explique le directeur Julien Pinardon.
Du côté du Festif! de Baie-Saint-Paul, le coût des billets pour un événement unique est resté le même. Les passeports pour la durée de l’événement sont majorés de 10 $ à 15 $ en raison de l’ajout d’une quatrième soirée.
Au Festival d’été de Québec, les 125 000 laissez-passer se sont tous envolés en prévente à 130 $, une hausse de 20 $ par rapport à ce qui était prévu en 2020, et qui avait été décrétée, avait expliqué la directrice Anne Hudon, pour faire face à l’inflation.
Quant à La Noce, à Saguenay, la hausse est un peu plus importante. Les passeports sont passés de 50 $ à 80 $.
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