Les cas de tuberculose explosent Québec: retour en force de la maladie infectieuse


Anne-Sophie Poiré
La tuberculose fait un retour marqué dans la province. Le ministère de la Santé rapporte une hausse de 79% des cas en 2024 comparativement à la moyenne des cinq années prépandémiques. Faut-il s’alarmer de la recrudescence de cette maladie qui a durement frappé le Québec vers la fin du 19e siècle?
Depuis le 1er janvier, 442 cas de tuberculose ont été déclarés dans la province, contre 350 à la même période en 2023, selon les données du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) obtenues par 24 heures.
Le MSSS avise d’un «excès significatif» par rapport à la moyenne des cinq années prépandémiques, soit 2015 à 2019, durant lesquelles 247 cas annuels avaient été signalés aux autorités de santé publique.

Entre cette période et 2024, les cas de tuberculose ont ainsi bondi de 79% au Québec.
«On voit une hausse de l’incidence de la maladie depuis deux ou trois ans, tout de suite après la fin de la pandémie», confirme le directeur du Centre international de tuberculose (TB) de McGill, Richard Menzies.
Les régions de Montréal, Laval et du Nunavik sont particulièrement touchées. Le MSSS y effectue une surveillance accrue de la situation, dit-on.
C’est quoi, la tuberculose?
La tuberculose est une maladie à déclaration et traitement obligatoires. Tous les cas doivent être signalés à la Santé publique et faire l’objet d’une enquête épidémiologique.
Elle peut se manifester sous la forme d’une infection latente ou active.
Dans sa version latente, elle n’est pas contagieuse et ne provoque aucun symptôme. Elle peut toutefois se réveiller des mois voire des années après l’infection. Environ 90% des personnes qui la contractent ne développeront jamais la tuberculose.
Dans sa forme active, toutefois, la maladie peut être mortelle si elle n’est pas traitée. Elle affecte surtout les poumons, dans près des deux tiers des cas, et peut également toucher différents organes comme les os, les reins et le système nerveux central.

C’est cette forme qui est hausse dans la province.
Mais attention: le contact avec une personne infectée n’est pas inévitablement synonyme d’une contamination.
La tuberculose n’est contagieuse que lorsque le système respiratoire est atteint comme la transmission se fait par voie aérienne, précise à 24 heures la porte-parole du MSSS, Marie-Pierre Blier.
La maladie se propage dans l’air lorsqu’une personne contaminée respire, parle, chante, éternue ou tousse, et elle se transmet généralement après un contact prolongé d’au moins 12 heures.
Parmi les symptômes: une toux persistante qui dure plus de deux semaines, parfois accompagnée de sang et de mucosité, des douleurs thoraciques, la fatigue, une perte d’appétit et de poids, des frissons, de la fièvre et des sueurs nocturnes.
«Le traitement n’est pas facile, prévient le Dr Menzies, mais il est efficace. Il faut prendre beaucoup d’antibiotiques sur une longue période: quatre médicaments pendant deux mois et ensuite deux types de médicaments pendant quatre mois, tous les jours. Un traitement préventif est aussi administré aux personnes qui ont été en contact avec la tuberculose active.»
Recrudescence partout dans le monde
On pourrait croire à tort que la tuberculose est une «vieille maladie» appartenant à une époque révolue. On observe pourtant une recrudescence des cas partout dans le monde.

En octobre dernier, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) rapportait qu’environ 8,2 millions de nouvelles infections avaient été diagnostiquées en 2023, soit le nombre le plus élevé jamais enregistré depuis que l’OMS surveille la tuberculose. Elle est désormais la maladie infectieuse la plus mortelle sur la planète, dépassant la COVID-19. Au total, 1,25 million de personnes en sont décédées l’an dernier.
L’Inde, l’Indonésie, la Chine, les Philippines et le Pakistan représentaient à eux seuls 56% de la charge de la tuberculose dans le monde, selon l’OMS.
Qu’est-ce qui explique donc sa propagation au Québec?
«La province a connu une hausse importante de réfugiés et de demandeurs d’asile dans les dernières années. Certains proviennent de pays où l’incidence de la tuberculose est très élevée, d’autres ont vécu dans des conditions difficiles ou dans des camps de réfugiés. Ce sont des milieux où la transmission est plus importante», explique Richard Menzies du Centre international de tuberculose (TB) de McGill.
L’expert assure cependant que la recrudescence de la maladie n’est pas à craindre.
«Les nouveaux arrivants représentent la majorité des cas déclarés dans les dernières années, souligne-t-il. On détecte la maladie dans les mois suivant leur arrivée au Québec et jusqu’à deux ans plus tard. Les risques pour la population générale sont minimes.»
Situation critique au Nunavik
Les peuples autochtones et inuits sont également touchés de façon disproportionnée par la tuberculose, selon le MSSS. La situation est particulièrement critique au Nunavik.
«Le taux d’incidence de la maladie y est 300 fois plus élevé que celui dans le reste du Québec, indique le Dr Menzies. Dans certains villages, jusqu’à 2% des habitants contractent la tuberculose chaque année.»
La cause est multifactorielle, selon l’expert.
«La surpopulation des logements dans les communautés et donc de la proximité est un facteur de risque. Il y a aussi la question de la nutrition, soit la transition d’une diète traditionnelle vers une alimentation du sud pour laquelle il est difficile de se procurer des produits frais et nutritifs dans ces régions éloignées. Les diagnostics sont aussi plus longs à avoir comme le système de santé y est restreint», détaille-t-il.
Au Nunavik, un vaccin est disponible gratuitement pour les nourrissons.
La peste blanche canadienne-française
À l’exception des Inuits et des Autochtones, la tuberculose a tendance à diminuer de façon continuelle dans la population née au Québec et au Canada, rappelle le Dr Richard Menzies.
Il fut un temps où ce qu’on appelle la «peste blanche» était pourtant reconnue comme la maladie «nationale» des Canadiens français, expliquait l'historien Jean-François Nadeau au micro d’Ici Radio-Canada Première.
Entre 1886 et 1906, la tuberculose serait à l’origine de 33 000 décès selon les chiffres du Conseil d’hygiène de la province de Québec. Elle était alors responsable de près du tiers de la mortalité de la «population productive», soit âgée de 20 à 45 ans.

L'industrialisation et l’urbanisation rapide expliquent en partie le taux élevé de victimes. La proximité de la population entassée dans les villes a permis à la maladie contagieuse de se propager. La plupart des personnes infectées vivaient dans des zones urbaines et travaillaient dans des usines où l’hygiène laissait à désirer.
Le lait est aussi montré du doigt. On estime que 10% des vaches étaient alors infectées par la tuberculose bovine et produisaient du lait contaminé. La pasteurisation n’est devenue obligatoire qu’en 1925.
Le premier sanatorium québécois a ouvert ses portes aux tuberculeux en 1908 à Sainte-Agathe-des-Monts. Plusieurs autres pousseront un peu partout dans la province. On comprend à ce moment que les malades doivent être isolés pour freiner la propagation de l’infection.
Certaines personnes y passeront jusqu’à 20 ans avant de guérir, raconte Jean-François Nadeau. Mais la maladie a véritablement commencé à régresser avec l’arrivée des antibiotiques dans les années 1950.