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L'article provient de Le Journal de Québec
Société

Les Canadiens ont-ils servi de chair à canon à Dieppe?

Parmi les 5000 Canadiens qui participent au raid de Dieppe figurent 584 Canadiens français du régiment des Fusiliers Mont-Royal. Censés servir de force de réserve, ils sont très tôt envoyés dans la bataille et subiront de lourdes pertes. On les voit ici lors d’un exercice d’entraînement sur les côtes d’Angleterre.
Parmi les 5000 Canadiens qui participent au raid de Dieppe figurent 584 Canadiens français du régiment des Fusiliers Mont-Royal. Censés servir de force de réserve, ils sont très tôt envoyés dans la bataille et subiront de lourdes pertes. On les voit ici lors d’un exercice d’entraînement sur les côtes d’Angleterre. Photo fournie par Bibliothèque et Archives Canada
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Martin Lavallée

2023-08-19T04:00:00Z
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Le 19 août 1942, au petit matin, 6000 soldats, dont environ 5000 Canadiens, débarquent sur les plages de Dieppe, en Normandie. Ils participent à l’opération Jubilee, première opération d’envergure confiée aux soldats canadiens durant la Deuxième Guerre mondiale. Celle-ci se solde toutefois par un cuisant échec et de nombreuses pertes humaines. Encore aujourd’hui, les motivations derrière ce raid manqué ne sont pas clairement établies...

Dès le départ, l’opération, qui visait notamment à détruire de l’armement nazi et à obtenir des renseignements sur la défense ennemie, est fortement compromise. L’effet de surprise de l’attaque est anéanti vers quatre heures du matin, après que des embarcations alliées sont tombées sur un convoi allemand dans les eaux de la Manche. L’alerte est donnée parmi les troupes nazies, qui attendront les soldats alliés de pied ferme. 

Après seulement neuf heures de combat, le bilan est accablant pour les Canadiens : 907 soldats sont tués, près de 2000 sont faits prisonniers et plusieurs centaines sont blessés. Le raid de Dieppe est un massacre et, comme le souligne l’historienne Béatrice Richard, qui a écrit un ouvrage sur le sujet, il reste « un symbole douloureux dans la mémoire collective canadienne ». 

Pour beaucoup de Canadiens français de l’époque, majoritairement hostiles à participer à ce conflit mondial, les Canadiens envoyés à Dieppe ont servi de chair à canon pour le compte de l’Empire britannique. Qu’en est-il exactement et qu’est-ce qui explique l’ampleur de ce cuisant échec ?

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Après le raid, des corps de soldats gisent sur les plages de Dieppe.
Après le raid, des corps de soldats gisent sur les plages de Dieppe. Photo fournie par Bibliothèque et Archives Canada

Un raid mal préparé

Selon la version officielle, soutenue par certains historiens, mais réfutée par d’autres, l’opération Jubilee était nécessaire et a fourni de précieuses leçons aux Alliés. Elle aurait notamment démontré pour les débarquements ultérieurs l’importance d’appuyer l’infanterie par de l’artillerie et un bombardement soutenu des forces navales et aériennes, ce qui a fait défaut à Dieppe. Cette version permet de justifier le sacrifice des militaires morts au combat.

Toutefois, sans rien enlever à la bravoure des soldats, plusieurs spécialistes s’entendent pour dire que le raid de Dieppe, ourdi par l’état-major britannique sous la direction de lord Mountbatten, a été mal préparé et que les risques importants de l’opération étaient connus. Même si l’effet de surprise avait fonctionné, rien n’indique que le plan des Britanniques aurait permis à Jubilee d’être un succès. Alors pourquoi avoir déclenché l’opération ?

Des prisonniers sont escortés sous l’œil des Allemands dans les rues de Dieppe. Au total, près de 2000 soldats canadiens sont faits prisonniers.
Des prisonniers sont escortés sous l’œil des Allemands dans les rues de Dieppe. Au total, près de 2000 soldats canadiens sont faits prisonniers. Photo fournie par Bibliothèque et Archives Canada

Des motivations militaires ou politiques ?

Une hypothèse avancée récemment par l’historien David O’Keefe veut que le raid ait été l’objet d’une mission secrète britannique pour subtiliser des données de cryptage aux Allemands, mais cette mission aurait échoué. 

Toutefois, d’autres raisons ont motivé le raid et peuvent contribuer à expliquer son échec. N’oublions pas qu’une guerre relève avant tout du politique, auquel les soldats sont soumis par devoir. Or, Winston Churchill subissait des pressions importantes de Staline pour l’ouverture d’un deuxième front contre la Wehrmacht, afin de donner du répit aux troupes de l’allié soviétique. Les soldats de l’URSS affrontaient l’armée allemande sur le front de l’est depuis l’été 1941. L’opération Jubilee permettait donc d’attirer l’attention des troupes d’Hitler vers l’ouest et à l’armée soviétique, de respirer un peu.

Les soldats canadiens, qui jusqu’alors avaient peu participé à ce conflit, ont été désignés pour fournir leur effort de guerre à Dieppe... avec le résultat malheureux que l’on connaît. 

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