Bouffe de rue: les bars laitiers mobiles font des affaires d’or
La hausse des prix, liée à l’inflation, n’a pas fait fuir les clients au Québec


Jean-Luc Lavallée
Loin d’être affectés par l’inflation et la hausse du diesel, les bars laitiers mobiles du Québec roulent à plein régime cet été. Plus nombreux que jamais, les clients ne boudent pas leur plaisir, même si la « molle » coûte un peu plus cher.
Les marchands itinérants qui vendent du bonheur glacé et des crèmes molles à la tonne dans la Belle Province sont loin d’être à l’article de la mort, contrairement à ce qu’on a pu observer depuis quelques mois dans certains grands centres urbains des États-Unis.
Plusieurs grands médias américains ont dressé un portrait plutôt sombre de cette industrie en rapportant les difficultés de marchands de New York, de Boston et de Los Angeles qui peinent à faire leurs frais en raison d’une hausse généralisée des coûts des matières premières et du carburant. Certains songent ouvertement à tout abandonner.
Dans le New York Times, le directeur de la North American Ice Cream Association a même laissé entendre que les camions de crème glacée étaient en train de devenir une « chose du passé »
La « manne » depuis deux ans
Le Journal a contacté une dizaine de marchands de glaces aux quatre coins du Québec. Le constat est unanime : aucun ne vit de tels déboires. C’est même plutôt le contraire.
Martin Brown, qui roule sa bosse dans le métier depuis 37 ans à Québec, dit avoir réalisé les meilleurs chiffres d’affaires de sa carrière dans les deux dernières années, malgré la crise sanitaire et l’annulation de nombreux événements et festivals en 2020 et en 2021. Depuis la pandémie, c’est « la manne », résume-t-il.

« Il y a des restaurants qui étaient fermés et qui ont mangé la claque mais nous, vu que c’est un service extérieur, il n’y a rien qui nous empêchait de faire de la business. Je vous le dis, c’est la folie furieuse. La demande est extrêmement forte, on est obligés de refuser des contrats », confie celui qui possède les camions Le Brise-Glace et Plaisirs glacés ainsi qu’un camion stationné en permanence au Miller Zoo, en Beauce.
Sur la Rive-Sud de Montréal, Nathalie Savoie tient essentiellement le même discours, bien que l’année 2020 ait été plus difficile pour elle. « Mais quand ça a repris l’année dernière, en 2021, ça a été ma meilleure année depuis 18 ans », enchaîne la propriétaire des camions Boule et crème dodo et de Crème Pop’s à Chambly.

Légère hausse des prix
L’inflation a forcé la plupart des marchands à majorer leurs prix de 25 ou 50 cents pour un petit cornet de crème molle, lequel se vend généralement entre 3,75 $ et 4,25 $. Pas assez pour faire fuir les clients. « C’est un bonheur qu’on se paie sans calculer. J’ai perdu certains clients mais j’en ai regagné [...]. C’est une industrie en expansion. Ça va très bien, on est très contents », ajoute Mme Savoie.
« C’est sûr que nos ingrédients ont augmenté, on ne se le cachera pas. L’autre enjeu, c’est le prix des contenants, des pailles. Il y a une pénurie de pailles compostables. On a augmenté nos prix aussi pour le consommateur mais ça demeure abordable », observe Mélanie Leclerc, du Cornet en cavale, à Saint-Valérien-de-Milton.
Par ailleurs, ceux qui participent à bon nombre d’événements privés facturent des frais de déplacement plus élevés aux clients commerciaux afin de couvrir leurs dépenses en carburant.
Des employés mieux payés pour contrer la pénurie
La pénurie de main-d’œuvre affecte aussi les marchands de crème glacée, contraints d’offrir des salaires de plus en plus alléchants pour attirer les employés et de mettre sur la glace des projets d’expansion.
Le taux horaire de base à 20 $, bien au-dessus du salaire minimum de 14,25 $, est de plus en plus répandu. En ajoutant le pourboire, des employés réussissent à doubler leur salaire et même, parfois, plus, affirme Martin Brown, qui possède trois camions dans la région de Québec.
45 $/l’heure avec pourboire
« Le problème de personnel, on le vit aussi, mais je n’ai pas eu trop de misère à en trouver », se félicite-t-il, grâce à ses arguments de poids. « Je leur dis : “Vous allez vous présenter les poches vides, vous allez repartir les poches pleines”. On donne 20 $ mais on garantit qu’ils vont faire un minimum de 30 $ avec le pourboire, mais ils dépassent ça. La moyenne est à 45 $ de l’heure. »
En région, le recrutement est parfois plus ardu. La Chocolaterie Beljade, à Amqui, a lancé la « Molle mobile » en pleine pandémie. Le succès a été instantané. Plusieurs villages du Bas-Saint-Laurent lui ont déroulé le tapis rouge en lui offrant un permis gratuit. Il se promène à l’ancienne, dans les rues, et les gens se précipitent vers son camion lorsqu’ils entendent sa musique.
Chocolatrie Beljade
« Dans les grands centres, tu ne peux plus faire ça, mais ici, c’est encore possible, raconte Daniel Savard. Il y a des petits villages qui n’ont pas de bar laitier alors quand ils me voient arriver, ils en prennent de la crème molle ! C’est juste la [rareté] de main-d’œuvre qui m’empêche d’avoir un ou deux autres camions de crème glacée. »
Sur le perron de l’église.
L’engouement en région ne se dément pas. La propriétaire du bar laitier Le Frisson, à Saint-Gervais, fait également fureur depuis sept ans avec son unité mobile sur remorque, dans le comté de Bellechasse.
« Les villages m’appellent. Je me promène partout, je me stationne dans les cours d’églises et ça va très bien. On dirait que je recrée du social dans le village pour que les gens se rencontrent et se jasent. Des fois, ils peuvent faire la file pendant une heure de temps, puis ils ont un gros sourire ! » raconte Michelle Asselin.
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