Les bagarres en voie d’extinction dans la LHJMQ
Les mesures coercitives imposées dans la LHJMQ portent leurs fruits depuis deux saisons


Kevin Dubé
QUÉBEC | Les bagarres dans la LHJMQ ne sont pas disparues, mais elles sont en réelle chute libre. Au cours des deux dernières saisons, soit depuis l’adoption de mesures draconiennes visant à éliminer les bagarres dans la LHJMQ, le nombre de combats par rencontre varie autour de 0,07. Un chiffre historiquement bas.
Avant les rencontres d’hier, un total de 52 combats avaient éclaté dans la LHJMQ au cours des 700 premiers matchs de la saison.
Rappelons que le 30 septembre 2020, les propriétaires de la LHJMQ avaient voté avec une forte majorité en faveur d’un durcissement des mesures lorsqu’il y a des combats. Depuis ce temps, une pénalité d’inconduite de dix minutes est ajoutée à la majeure d’une durée de cinq minutes déjà imposée lorsqu’un joueur jette les gants. Une suspension automatique d’un match est imposée dès la troisième bagarre d’un joueur dans la même saison.
Circuit unique
Il est important de rappeler que la LHJMQ est le seul circuit parmi les trois ligues juniors canadiennes à imposer des règles aussi strictes en matière de combats. Deux semaines avant le vote du 30 septembre 2020, les propriétaires n’avaient pas été en mesure d’obtenir une majorité de votes en faveur de ces mesures coercitives. Insatisfaite, la ministre déléguée à l’Éducation, Isabelle Charest, avait fait parvenir une lettre aux 12 formations du Québec et avait menacé de retirer l’aide financière prévue pour ces équipes afin de combler les pertes engendrées par la pandémie.
Suspensions et amendes
Cette saison seulement, la LHJMQ a jusqu’à présent imposé un total de 44 matchs de suspension pour des infractions liées aux bagarres. Le 19 février, l’attaquant des Sea Dogs de Saint-Jean Nicholas Blagden a reçu dix matchs en raison d’une bataille dite planifiée contre les Moosehead de Halifax. En décembre, il avait écopé aussi de cinq matchs pour une accumulation du code 2.2 (bagarre), agresseur et récidiviste.
Les bagarres étaient déjà en forte baisse avant même ces mesures, faut-il rappeler. Malgré tout, la moyenne de 0,07 combat par partie depuis deux saisons est bien en deçà du 0,25 lors de la saison 2019-2020, la dernière avant l’imposition des nouvelles mesures. En d’autres termes, il y a deux ans, une bagarre éclatait toutes les quatre parties en moyenne, alors qu’aujourd’hui, deux joueurs jettent les gants en moyenne toutes les 14 parties.
Et même si les résultats sont probants, tout le monde est encore en adaptation, assure l’entraîneur-chef des Olympiques de Gatineau, Louis Robitaille.
« On est encore en transition et on voit une amélioration constante. Avec la sévérité des règlements, ça enlève les bagarres planifiées puisqu’il y a des répercussions immédiates. Par contre, on voit encore des batailles dans le feu de l’action. »
D’ailleurs, les Olympiques sont l’équipe qui a le moins souvent été impliquée dans un combat depuis deux ans. En fait, ce n’est arrivé qu’une seule fois, le 31 octobre dernier, dans un match contre les Eagles du Cap-Breton.
« Et pourtant on est une équipe intense et agressive. En tant que père de famille, tu ne veux pas voir ton fils se battre. »
Changement de mentalité
S’il y en a un qui est bien placé pour parler, c’est bien Robitaille. En quatre saisons dans la LHJMQ, entre 1999 et 2003, il avait récolté 1020 minutes de pénalité avant d’en ajouter 1759 en sept saisons dans la Ligue américaine de hockey (LAH).
« La mentalité a beaucoup changé. À mon époque, j’ai eu à le faire parce que ça changeait le momentum d’un match. Il n’y avait qu’un seul arbitre sur la glace et ça laissait place à plus de coups salauds. Ensuite, on a vu l’arrivée de deux arbitres et l’abolition de la ligne rouge. Le jeu est devenu plus axé sur la vitesse.
« Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, les gars se connaissent tous. Avant, on connaissait les gars avec qui on avait joué, et c’est tout. Ç’a enlevé un peu de hargne dans le jeu. C’est maintenant beaucoup plus axé sur la vitesse et l’attaque. Les jeunes se sont dissociés des bagarres. »
Dissuasif
Chose certaine, les mesures ne plaisent pas à tous. Parmi les réfractaires : l’attaquant des Mooseheads de Halifax Zachary L’Heureux. Joueur au style physique et abrasif, le choix de première ronde des Predators de Nashville au dernier repêchage estime que le resserrement des règlements pave la voie à des coups salauds impunis.
« Ça change la game. Je ne pense pas qu’il y ait plus de coups salauds qu’il y en avait, mais il n’y a plus de conséquences à ces gestes. Quand tu sais que tu vas aller t’asseoir sur le banc de pénalité pour 15 minutes, ça t’enlève le goût de défendre un coéquipier. »
N’en déplaise à L’Heureux, gageons que c’était un peu l’objectif de la LHJMQ. Invité à commenter, le commissaire de la LHJMQ, Gilles Courteau, a refusé notre demande d’entrevue.
Les combats en chute libre dans la LHJMQ [ par match ]
- 2021 / 2022 : 0,07
- 2020 / 2021 : 0,07
- 2019 / 2020 : 0,25
- 2018 / 2019 : 0,30
- 2017 / 2018 : 0,37
- 2016 / 2017 : 0,47
- 2015 / 2016 : 0,51
- 2014 / 2015 : 0,67
- 2013 / 2014 : 0,73
- 2012 / 2013 : 0,66
- 2011 / 2012 : 0,78
- 2010 / 2011 : 0,78
◆ Encore plus élevé en Ontario et dans l’Ouest cette saison
- OHL : 0,16
- WHL : 0,19
* Source : www.hockeyfights.com
** Les chiffres n’incluent pas les matchs disputés hier
Pas d’impact pour les recruteurs

Même s’il n’y a à peu près plus de bagarres dans la LHJMQ, les recruteurs de la LNH n’ont pas le sentiment que la qualité de jeu a été touchée ni que les joueurs du circuit sont pénalisés dans leur évaluation.
Certes, les bagarres sont toujours permises dans la LNH et le jeu y est encore physique, particulièrement en séries.
« Bagarres ou pas, ça ne change rien dans ma façon d’évaluer les joueurs, confie un recruteur d’une équipe de l’Ouest. Peu importe la ligue, tu regardes un joueur et les aspects de son jeu que tu aimes. Pour certains, le jeu physique en fait partie. Ces gars-là, malgré les règles, ne vont pas hésiter à le faire dans certaines circonstances.
« Honnêtement, je n’ai pas l’impression que notre ligue est maintenant considérée comme plus soft. Que le joueur s’appelle Miller et demeure à Calgary ou Tremblay et joue au Québec, on va l’aimer quand même. Les règlements n’ont pas d’impact sur la façon dont nos patrons voient la ligue du Québec. »
Un autre recruteur d’expérience abonde en ce sens.
« Je regardais un match du Phoenix de Sherbrooke l’autre jour, et Israel Mianscum frappait tout ce qui bougeait. Ces joueurs-là ne changeront pas. Le jeu est rapide et c’est un sport d’émotions. Parfois, dans le feu de l’action, ça peut arriver et je n’ai pas de problème avec ça.
« Ce que la ligue a fait, c’est éliminer les bagarres planifiées. C’est une bonne chose parce que tu ne veux pas avoir l’air d’une ligue de bouffons. De mon côté, ça ne nuit pas à mon évaluation, ni au spectacle sur la glace. Il y en a toujours qui vont dire qu’ils aiment voir une bonne bagarre. Si c’est ce que tu veux, va voir de la lutte ou de la boxe, tu vas avoir un bon show. Les bouffonneries, ça n’a plus sa place dans le hockey d’aujourd’hui. »
Mentalité différente
Pour notre premier intervenant, bien que les règlements soient plus stricts dans la LHJMQ que dans les ligues de l’Ontario (OHL) et de l’Ouest (WHL), ils suivent tout de même la nouvelle mentalité du hockey qui, depuis plusieurs années déjà, délaisse les gros bras au profit de joueurs rapides et agiles.
« Le modèle, ça restera toujours la Ligue nationale de hockey. S’il y avait huit bagarres par match dans la LNH, je peux te jurer que ce serait encore permis partout dans la LCH et le jeu serait plus dur dans les rangs mineurs. Il y a une ligne directe entre ce qui se fait dans la Ligue nationale et les décisions prises plus bas. La nouvelle tendance, c’est d’avoir des joueurs avec des habiletés hors du commun, des Patrick Kane, Jack Eichel ou Connor McDavid. Ça influence directement tous les niveaux en dessous. »
Faire face à la musique
L’entraîneur-chef des Olympiques de Gatineau, Louis Robitaille, voit lui aussi cette façon de faire comme une simple suite logique.
« La game s’en va vers ça. Les équipes de la LNH vont peut-être se demander si nos joueurs peuvent avoir la hargne nécessaire quand tu arrives en séries, mais je pense que ça se mesure autrement que dans les combats. C’est certain que dans un niveau plus élevé, les joueurs auront à faire face à la musique. Quand tu affrontes, en séries, une équipe comme le Canadien de l’an dernier, qui compte sur des défenseurs format géant en plus des Corey Perry ou Josh Anderson, tu veux être certain que tes joueurs vont être capables de rivaliser avec ces gars-là. Par contre, qu’il n’y ait pas de bagarre dans notre ligue, je ne vois pas ça comme quelque chose qui va les empêcher de passer au niveau supérieur. »