Les assassins allégués de Joe Di Maulo et d’autres gros noms de la mafia montréalaise dénoncés par le tueur à gages Frédérick Silva
Le caïd soupçonné d’avoir abattu l’ancien numéro 2 de la mafia s’est fait assassiner à son tour, deux ans plus tard

Eric Thibault, Maxime Deland et Félix Séguin
Les confessions du tueur à gages Frédérick Silva permettront aux policiers d’élucider les meurtres de certains ténors de la mafia montréalaise, dont ceux de Joe Di Maulo et du présumé assassin de ce dernier.
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Les meurtres de Di Maulo, autrefois le numéro 2 de la mafia italienne, et d’un lieutenant du clan Rizzuto qui l’aurait éliminé, Tonino Callocchia, font partie de la soixantaine de complots que la Sûreté du Québec et la police de Montréal pourraient résoudre avec l’aide de Silva dans le projet Alliance, ont appris l’Agence QMI et notre Bureau d’enquête.

Même sort pour tous
Selon nos sources, la collaboration de Silva a notamment permis d’identifier le caïd Arsène Mompoint, surnommé BM (pour Big Mouth), comme l’un des deux tireurs allégués qui auraient fait feu sur Callocchia, tué à 53 ans dans un bistro du boulevard Henri-Bourassa, le 1er décembre 2014.

L’ex-chef du Unit 44, un gang de rue montréalais associé aux Rouges, ne sera toutefois pas accusé.
Mompoint a été tué de trois balles à la tête, le 1er juillet 2022, dans un commerce de vente de marijuana à Kanesatake.
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L’autre tireur supposément impliqué dans le meurtre de Callocchia serait un autre défunt caïd, Salvatore Scoppa, d’après ce que son frère aîné et ex-chef intérimaire de la mafia, Andrew Scoppa, a confié à notre Bureau d’enquête, quelques mois avant sa mort en 2019.

«Sal» Scoppa, que Silva avait blessé lors d’une fusillade à Terrebonne en 2017, a été criblé de balles deux ans plus tard lors d’une fête familiale à l’hôtel Sheraton de Laval.
Prendre du galon
Tonino Callocchia, un narcotrafiquant surnommé Boots parce qu’il portait souvent des bottes de construction, a lui-même été dénoncé pour un meurtre commis 25 mois avant le sien. Et non le moindre.
Ce meurtre, c’est celui de Joe Di Maulo, tué par balles à 70 ans devant sa luxueuse résidence à Blainville, le soir du 4 novembre 2012.

Di Maulo, beau-frère de l’influent caïd Raynald Desjardins et issu de la faction calabraise de la mafia, s’était fait connaître dans les années 60 comme gérant du cabaret Casa Loma, sur la rue Sainte-Catherine Est, où se sont produites des vedettes comme Ginette Reno, Alys Robi et Claude Blanchard.

Il aurait payé de sa vie pour son apparent manque de loyauté envers le parrain Vito Rizzuto, pendant que ce dernier était incarcéré aux États-Unis pour son rôle dans trois meurtres, entre 2006 et 2012.
Di Maulo a été tué à peine un mois après la libération et le retour au pays de Rizzuto.

À la suite du meurtre de Di Maulo, Callocchia, qu’on surnommait aussi Tony Coloc, aurait été promu au rang des hauts gradés du clan Rizzuto.
«Coloc avait lui-même demandé à Vito [Rizzuto] de lui donner la permission de s’en charger. Coloc a pris du galon après ça», selon Andrew Scoppa, dont les confidences ont fait l’objet d’un livre de notre Bureau d’enquête intitulé La Source.
Autres contrats
La semaine dernière, on rapportait aussi que Silva a identifié le clan Rizzuto à titre de commanditaire du meurtre inusité du mafioso Giuseppe De Vito, empoisonné au cyanure dans sa cellule du pénitencier de Donnacona, le 8 juillet 2013.
D’après nos informations, le caïd aurait avalé des somnifères contenant le poison mortel.
Rappelons que Silva est ce tueur à gages qui a avoué à la police qu’il avait mis un contrat sur la tête du journaliste Daniel Renaud, pendant quelques mois, en 2021.
Mitraillé pendant que son ami mafieux Marco Pizzi était parti aux toilettes
Une envie pressante d’aller uriner a possiblement sauvé l’influent mafioso Marco Pizzi du même sort que son camarade Tonino Callocchia, le jour où ce dernier s’est fait cribler de balles.
C’est du moins ce que les policiers ont écrit dans des documents judiciaires liés à l’enquête Magot, où ils relatent des détails du meurtre de celui qu’on surnommait Boots ou Tony Coloc.

Le 1er décembre 2014, à 12h58 précises, Callocchia, un narcotrafiquant de haut rang dans le clan Rizzuto, s’était présenté en compagnie de Pizzi, dont il était un proche, au Bistro XO+, situé sur le boulevard Henri-Bourassa Est à Montréal.
Pizzi, lui aussi considéré par la police comme un narcotrafiquant associé au clan Rizzuto, a alors laissé son ami seul à leur table pour se diriger vers les toilettes.

L’année précédente, Callocchia avait survécu à une tentative de meurtre.
L’avant-midi du 1er février 2013, un tireur l’avait atteint de deux balles au côté gauche du thorax alors qu’il sortait de son véhicule, dans le stationnement du restaurant Youlios, sur le boulevard Saint-Martin à Laval.
Il avait alors réussi à échapper à son assaillant et à se réfugier à l’intérieur du restaurant.
Mais ce midi-là, ce sont deux tireurs qui l’attendaient dans le stationnement.
Selon nos informations, il s’agirait du chef de gang Arsène Mompoint et du caïd mafieux Salvatore Scoppa.
Sous le choc
Portant chacun une cagoule, les deux hommes armés sont sortis de leur véhicule, ont fait irruption dans le resto-bar et se sont approchés de leur cible.
«Ils tiennent chacun une arme qu’ils pointent de chaque côté de la tête de Tonino Callocchia, puis une dizaine de coups de feu éclatent. Les suspects prennent la fuite par la porte avant», relatent les policiers dans un rapport obtenu par notre Bureau d’enquête.
À 13h03, Marco Pizzi a lui-même avisé les policiers sur place que son ami Callocchia s’était fait tirer et qu’il était décédé.

Plus tard ce jour-là, Pizzi, encore «sous le choc», a confié à une connaissance qu’il était en train d’uriner aux toilettes quand il a entendu les détonations d’arme à feu.
«Il dit que s’il n’avait pas été [aux toilettes], qui sait, il aurait peut-être été abattu», peut-on lire dans ce document judiciaire.
Visé à son tour
Deux ans plus tard, Marco Pizzi a réussi à échapper à des hommes armés qui le pourchassaient et qui avaient embouti sa Mercedes.
L’un de ses assaillants, Kevin Rochebrun, purge présentement une peine de 10 ans de pénitencier pour son rôle dans la tentative de meurtre perpétrée aux dépens de Leonardo Rizzuto, fils du défunt parrain Vito Rizzuto, qui avait été pris en chasse et blessé par balle alors qu’il conduisait son luxueux VUS sur l’autoroute 440 ouest, en mars 2023, à Laval.

Joe Di Maulo «blanc comme un drap» après sa dernière rencontre avec le parrain Vito Rizzuto
Quelques jours avant d’être assassiné, l’influent mafieux Joe Di Maulo avait rencontré le parrain Vito Rizzuto. Il était «blanc comme un drap» à son retour chez lui.
C’est ce que l’on apprend à la lecture de documents judiciaires liés à l’enquête Magot, qui a mené à plusieurs arrestations dans le milieu du crime organisé en 2015, auxquels notre Bureau d’enquête et l’Agence QMI ont eu accès.

Le soir du 4 novembre 2012, à 20h22, les policiers ont été avisés par un appel 911 logé par la conjointe de Joe Di Maulo – qui est aussi la sœur aînée du caïd Raynald Desjardins – que le vétéran mafioso gisait sans vie dans le stationnement de la résidence familiale à Blainville.
Sur place, les premiers policiers ont constaté que la victime avait reçu plusieurs projectiles d’arme à feu à la tête. Trois, d’après l’autopsie pratiquée sur son corps le lendemain.

Sa fille Milena a rencontré deux enquêteurs de police, le 3 janvier suivant.
Elle leur a confié que durant les jours précédant sa mort, son père est allé «rencontrer Vito Rizzuto, malgré que ce dernier ne [voulait] pas le voir».
«À son retour, il était blanc comme un drap», a-t-elle précisé aux policiers.
Comme s’il s’en doutait
De plus, Joe Di Maulo a fait «plusieurs démarches inhabituelles» durant les dernières heures de sa vie, comme s’il sentait que la fin approchait.
Il a notamment «vu son comptable afin de régler ses impôts», a fait évaluer son cellier «d’une valeur de 305 000$» et il a laissé «un message d’environ une heure sur un cellulaire».
Dans un livre que Milena Di Maulo a coécrit avec la criminologue Maria Mourani en 2018, elle relatait aussi une «discussion animée» au téléphone que son père avait eue avec le parrain Rizzuto, quelques jours avant de se faire tuer.
Durant cet appel, Di Maulo a déclaré à Rizzuto, en faisant référence à Raynald Desjardins: «Qu’est-ce que tu veux que je fasse? C’est mon beau-frère!»
À l’époque, les policiers soupçonnaient Desjardins de faire partie d’un groupe qui avait tenté de prendre le contrôle de la mafia montréalaise, durant les années précédentes, alors que le parrain Rizzuto était emprisonné aux États-Unis.

Durant son absence, entre 2006 et 2012, le clan Rizzuto fut la cible de nombreux attentats liés à une guerre de pouvoir interne.
La propre famille de Vito Rizzuto a aussi fait les frais de ce conflit quand son fils aîné, Nick Jr., et son père, Nicolo, ont successivement été tués par balle à une dizaine de mois d’intervalle, entre 2009 et 2010.
Vito Rizzuto est décédé à son tour des suites d’un cancer, en décembre 2013.
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