L’élément déclencheur de la création du nouvel album de Stéphanie Boulay est bouleversant...
Le deuxième album solo de Stéphanie, «Est-ce que quelqu’un me voit?», est disponible sur toutes les plateformes.
Sabrina Cournoyer
À mes yeux, Stéphanie représente une voix importante de notre génération. Une artiste inspirante qui se lève, s’exprime et prend position publiquement. Une femme qui défend sans relâche les causes qui lui tiennent à cœur. Que ce soit comme moitié des Sœurs Boulay ou en solo, elle nous touche depuis plus d’une décennie avec sa musique et ses textes. Au fil de ses projets, j’ai eu le privilège de m’entretenir à maintes reprises avec elle. Cette fois, j’ai rencontré non seulement l’autrice-compositrice-interprète qui lance un nouvel album solo, mais surtout celle que je considère maintenant comme une amie. Depuis qu’on s’est croisées par hasard à la sortie d’un restaurant, il y a deux ans, de notre relation professionnelle est née une précieuse amitié.
• À lire aussi: 25 personnalités publiques à suivre absolument sur Instagram
• À lire aussi: Des personnalités publiques prennent la parole sur la montée du discours masculiniste
Stéphanie, je sais que tu as hésité avant de faire ce 2e album solo. Pourquoi?
Parce que la première fois, j'ai juste «chocké». J’avais mis énormément d'énergie, d'amour et de travail dans mon premier album. Mais, une fois qu’il a été lancé, je ne l’ai pas assumé. Je n’en ai pas tant parlé et je n’ai pas donné beaucoup d’entrevues sur le sujet. J'ai même refusé de nombreuses offres de spectacles. Et je suis tout de suite retournée avec Les sœurs Boulay.
Avais-tu peur de te montrer en solo?
Oui, car j’avais l'impression que je n'étais pas assez. Quand je faisais une entrevue, je n'avais pas à mes côtés la personne qui me sauve en répondant à ma place quand je ne sais pas quoi dire. Je n’avais jamais été exposée seule pour défendre quoi que ce soit, à part peut-être mes livres. Mais ce n’est pas du tout la même chose. J'ai donc hésité avant de faire le deuxième, parce que j’avais encore en tête que je n'étais pas capable de monter un spectacle toute seule, que je serais trop stressée, que je ne serais pas assez bonne. Bref, que ce serait un gaspillage d'argent et d'énergie.
Qu’est-ce qui t'a finalement poussée à aller de l'avant?
Comme je savais que ma sœur voulait prendre une pause pour se consacrer à autre chose, cette fois, je ne me sentais pas coupable de l’abandonner. Et l'élément déclencheur, ç’a été ma rupture. J'ai vécu une relation de quatre ans pour laquelle j'ai fait énormément de compromis. Je me suis complètement oubliée. À la fin, j’avais l'impression que je ne valais plus rien. J'avais tout donné et tout perdu. À 35 ans, je me retrouvais seule dans ma maison avec mon chien, pas de chum, pas d’enfants. La tournée des Sœurs Boulay achevait. J’étais devant un grand vide: je ne savais plus qui j’étais et où je m’en allais. J'avais viscéralement besoin d'écrire parce que c'était tout ce qui me restait. J’avais le sentiment que seule la musique pouvait me sauver. La musique, mais aussi l'introspection et le travail sur moi qui m'attendaient et que je devais faire. C'est de cette façon que je me suis réapproprié mon identité, mon avenir et le sens de ma vie.
J’ai beaucoup écouté ton album. Je sens qu’on sera nombreuses à se reconnaître dans tes textes...
Je trouvais ça important de parler de la réalité des femmes dans la trentaine qui se dessinent une vie qui ne correspond pas nécessairement aux attentes de la société. Notre génération est un peu entre deux chaises: on nous dit qu'on peut être célibataire, sans enfant, et qu’on peut mettre tout l'emphase sur notre carrière...
Mais on se sent jugées quand même...
Exact. Et on se sent tristes des fois de ne pas avoir trouvé l'amour et de ne pas correspondre aux standards. On nous élève pour plaire, se faire petites, ne pas déranger, taire nos désirs, ne pas être trop en colère, ne pas être trop, point. Et je réalise qu’il y a beaucoup de femmes qui ont envie d’exister. Et c'est vraiment ce que je veux, moi aussi: exister comme je suis.

Quels constats fais-tu en réécoutant ton album?
Je réalise que je vais mieux. J'ai fait cet album en souhaitant que ça répare des choses dans ma vie personnelle. Il y a plein d'affaires que je dis dans les chansons que je n'aurais pas osé exprimer directement à mes proches. Il y a plein de choses que j’ai écrites que mes amis ne savaient pas. Ça a provoqué des conversations que je n’espérais même pas. Mon père s’est excusé pour la première fois de sa vie. Je pense qu’il a compris des affaires par rapport à nous, notre enfance, notre relation, par rapport à des choses blessantes qu'il a pu faire. Ça ne guérit pas tout, mais ça répare un peu.
C’est un album très personnel. Qu’aimerais-tu dire aux gens qui vont l’écouter?
J’aimerais ça être à leurs côtés pour m’expliquer au fur et à mesure! (rires) Si je touche à des choses aussi intimes et parfois sombres, c'est parce que je vais mieux. S’ils traversent une période difficile, j’aimerais leur dire de ne pas s’inquiéter. Si je n'avais pas touché le fond, je n’aurais pas autant avancé. Oui, mon album est rempli d’émotions, mais il est plein de joie et de lumière aussi. La plupart des trucs sont vrais, mais il ne faudrait pas sauter aux conclusions en essayant de savoir de qui je parle. Mon but n'était pas d'exposer personne pour provoquer un raz-de-marée de haine. J’ai juste décidé de ne pas censurer ma colère parce que je trouve qu'on nous demande trop de le faire.
Je ne peux pas croire que tu as déjà envisagé d’arrêter la musique...
Je n’en reviens pas non plus. En fait, je n'ai jamais voulu arrêter de faire de la musique. J'ai juste voulu arrêter d'exister dans des milieux toxiques. J'ai fait un gros ménage, je me suis mieux entourée et je suis beaucoup plus autonome. Si en ce moment je vis de la joie, c'est parce que les gens avec qui je travaille sont compétents, talentueux et extrêmement bienveillants.
Tu viens aussi de lancer ton balado, Apparaître: la neurodivergence invisible, un projet qui te tenait vraiment à cœur. Tu as d’ailleurs reçu un diagnostic à cet effet dans les dernières années...
Au départ, la neurodivergence, c'était quelque chose que je ne connaissais pas du tout. Une femme m’a écrit pour me mettre sur cette piste. Si ce n'avait pas été d'elle, je n’aurais peut-être jamais cherché à obtenir un diagnostic à mon tour. (À 35 ans, Stéphanie a reçu un diagnostic de TDAH et de trouble du spectre de l’autisme. Dans son balado, elle se tourne vers d’autres femmes qui, comme elle, ont tenté de masquer leur différence. Accompagnée d’expertes, elle se demande pourquoi la neurodivergence au féminin est si difficile à identifier.) Quand on a passé trop d'années de notre vie sans cette inestimable clé-là, on veut juste que ça n'arrive plus à personne. On souhaite que les gens puissent découvrir le plus tôt possible s'ils en sont atteints. C’est ce que toutes les femmes qui ont participé au balado auraient souhaité. C’est une réponse qui ne change pas tout, mais qui aide beaucoup.
Maintenant que l’album et le balado sont lancés, que vas-tu faire de ton temps?
Ça fait trois ans que je veux écrire pour la télé. Je souhaite aussi faire d'autres balados. J'ai déjà plein d'idées. Puis j'aimerais beaucoup étudier pour devenir avocate. Ça fait longtemps que j’y pense. Je viens d'une famille de policiers et je vois ce que ce métier fait sur un être humain. Ça crée souvent beaucoup de souffrance dans les familles. Je n'aurais pas pu être policière, mais j'ai cet instinct de recherche et un très fort désir de faire le bien. L’art et la communication feront toujours partie de ma vie, mais aujourd'hui, j'ai besoin de trouver une autre façon de créer des liens et de changer les choses autour de moi.