Le Rocket a sauvé la LNH


Rodger Brulotte
Comment trouver les mots justes pour écrire sur une personne qui fut l’idole d’un peuple et que j’ai eu le privilège d’avoir comme ami ?
Je me revois encore, enfant, assis aux côtés de mon père, captivé par les voix de Michel Normandin et René Lecavalier. Ensemble, ils peignaient des tableaux sonores du légendaire Rocket, fendant la glace avec une intensité presque irréelle, fonçant vers le filet comme une force de la nature.
Parfois, il semblait porter un coéquipier sur ses épaules. D’autres fois, il pétrifiait de peur ses adversaires d’un simple regard, aussi perçant qu’un éclair.
La première fois que je l’ai rencontré, j’avais 11 ans. Il m’a remis un trophée pour mes performances comme gardien de but. Ce jour-là, mon héros est devenu réel.
Et plus tard, j’ai découvert un homme à la douceur d’un oiseau... mais à la férocité d’un ours quand il le fallait.
Un jour, j’ai croisé l’ours au Forum de Montréal, alors que son fils disputait la finale du championnat local.
Au loin, j’ai aperçu un spectateur agitant sans relâche une énorme cloche d’école, ignorant les avertissements répétés du Rocket d’arrêter de faire sonner la cloche. Soudain, sans la moindre hésitation, sa main massive s’est tendue, a saisi la cloche avec une précision implacable, puis l’a projetée au loin d’un geste puissant comme un lanceur expédiant une balle rapide.
Plus tard, j’ai commencé à le retrouver dans des événements de collecte de fonds. Là, loin de la glace, il passait des heures à signer des autographes, toujours avec patience, sans jamais se plaindre. Le héros féroce était aussi un homme d’une générosité discrète.
Aussi, jouer au tennis avec lui, ce n’était pas compliqué : il fallait gagner. La compétition faisait partie de lui.
Hommage de Gordie Howe
Je me souviens d’une soirée inoubliable, en compagnie de Maurice Richard et de Gordie Howe, tous deux assis à mes côtés dans une loge du Stade olympique, lors d’un match des Expos. Quelle chance d’être témoin de ce moment rare entre deux légendes !
Je ne peux pas m’empêcher de faire autre chose que les écouter. Gordie, espiègle, ne cessait de taquiner le Rocket. Ce dernier, attentif, souriait, mais lançait parfois à Gordie un regard perçant celui-là même qui avait glacé tant d’adversaires comme pour lui rappeler de ne pas trop exagérer.
Au cours de la soirée, je me suis retrouvé seul avec monsieur Howe. Je lui ai demandé de me parler du Rocket.
Il m’a répondu doucement que c’est simple de décrire le Rocket : « Babe Ruth a sauvé le baseball et Maurice Richard, lui, a sauvé le hockey. »
Monsieur Maurice Richard n’a pas seulement sauvé un sport. Il a inculqué une fierté aux francophones du Québec. Il a incarné bien plus qu’un joueur : un symbole.