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L'article provient de Bureau d'enquête

Extraits audio inédits: le ripou Benoit Roberge et le Hells Angels René Charlebois se parlaient comme de vieux amis

Notre bureau d'enquête a obtenu des enregistrements des conversations téléphoniques

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Jean-Louis Fortin, Eric Thibault et Félix Séguin

2023-10-11T04:00:00Z
2023-10-11T21:53:24Z
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L’ex-enquêteur vedette Benoit Roberge et le Hells Angels René Charlebois se parlaient comme de vieux amis lorsque le premier vendait des renseignements secrets au célèbre motard.

• À lire aussi: Le policier ripou Benoît Roberge arrêté grâce au bras droit d’un Hells

Des enregistrements inédits de conversations téléphoniques obtenus par notre Bureau d’enquête révèlent cette improbable complicité entre l’ancien expert de la lutte anti-motards à la police de Montréal et l’ambitieux Hells qu’on surnommait « Balloune ». 

Plusieurs extraits de ces enregistrements réalisés par Charlebois, à l’insu de Roberge, sont dévoilés pour la première fois dans le nouveau livre de notre Bureau d’enquête qui paraît mercredi, Le ripou des Hells.

Charlebois s’est enlevé la vie après avoir dénoncé Roberge, il y a 10 ans. L’ex-superflic a ensuite écopé de huit ans de pénitencier après s’être reconnu coupable d’abus de confiance et de gangstérisme. 

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« Mon beau bonhomme ! »

Les deux acteurs du pire scandale de corruption policière au Québec discutaient d’égal à égal dans un langage familier, pimenté de jurons et de blagues. 

On jurerait entendre des chums de longue date quand Charlebois salue chaleureusement Roberge en l’appelant « mon beau bonhomme ». 

— T’amènes ta femme [au restaurant] ? Pour une fois, tu vas la sortir un peu. [...] Elle est gentille avec toi, lui dit ensuite le motard.

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— Oui, elle est fine (juron), ça fait que je la gâte ! acquiesce Roberge avec désinvolture, en référence à celle qui travaillait comme procureure de la Couronne.

Cette année-là, en 2012, il n’avait eu aucun scrupule à trahir sa conjointe en coulant aux Hells des infos confidentielles sur une enquête antidrogue dont elle pilotait le volet judiciaire.

« Travaille, travaille ! » lui répète Charlebois, en réitérant lui « faire confiance » et qu’il s’assurera que Roberge reçoive « de l’argent en masse pour le restant de [ses] jours » en échange de ses tuyaux. 

Ces photocopies de photos où l’on voit l’enquêteur Benoit Roberge en devoir alors qu’il recueillait des renseignements près d’un salon funéraire de Verdun où un membre des Rock Machine était exposé ont été retrouvées à l’intérieur du véhicule de fuite utilisé par des tueurs des Hells à la suite d’un meurtre, le 26 août 1999, et identifiées par la police de Montréal comme la pièce à conviction no 35 de cette scène de crime.
Ces photocopies de photos où l’on voit l’enquêteur Benoit Roberge en devoir alors qu’il recueillait des renseignements près d’un salon funéraire de Verdun où un membre des Rock Machine était exposé ont été retrouvées à l’intérieur du véhicule de fuite utilisé par des tueurs des Hells à la suite d’un meurtre, le 26 août 1999, et identifiées par la police de Montréal comme la pièce à conviction no 35 de cette scène de crime. Photo courtoisie

On entend le motard planifier un paiement de 25 000 $ qu’un de ses hommes laissera pour Roberge dans une voiture dont les portes seront déverrouillées, afin que personne ne soit témoin de la transaction. 

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« Fais attention à comment tu vas dépenser ça, pis où tu vas mettre ça. Le monde, y sont jaloux pis y remarquent vite ces affaires-là », lui conseille Charlebois.

Roberge dit vouloir amasser « un bon coussin » et même « enterrer » une partie de son fric, comme la vieille méthode des Hells pour protéger leur butin de la police et du fisc. 

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« Le cadeau de ta retraite »

Ils parlent aussi de « la vedette de l’opération SharQc », le délateur Sylvain Boulanger, qui est « dépressif » et « ne va pas bien », selon Roberge. 

« Oublie pas, lui, c’est le cadeau de ta retraite ! Souviens-toi de ce que tu m’as dit », lui rappelle aussitôt Charlebois en évoquant que l’ex-policier serait généreusement récompensé s’il aidait les Hells à se débarrasser du délateur. 

Le Hells Angels René Charlebois
Le Hells Angels René Charlebois Photo courtoisie

Charlebois avait lui-même qualifié ces enregistrements de « bombe » dans une vidéo d’adieu tournée avant son suicide, en septembre 2013. Il se terrait alors dans le chalet construit par l’auteure du Survenant, Germaine Guèvremont, après s’être évadé du pénitencier où il purgeait sa peine pour le meurtre d’un collaborateur de la police.

« Balloune » a relaté que tout avait commencé lorsqu’il était détenu à Laval et que Roberge l’a visité en lui offrant de lui vendre des renseignements sur des enquêtes et des informateurs de police pour se payer « une retraite dorée ». Une offre « inimaginable », d’après le défunt motard. 

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Extraits

Maintenant, René fait partie du petit clan de généraux des Hells, les Nomads. Il a reçu ses « patches » de membre en règle au printemps dernier. D’une main de fer, il doit faire fi de la pression et pouvoir gérer des situations hors du commun qui feraient trembler Monsieur Tout-le-Monde. Il doit garder son sang-froid, tout comme son poker face. À l’instar de ses « frères » qui partageaient la scène avec lui tout à l’heure. Surtout depuis six mois. Parce qu’au cours de l’hiver précédent, il a lui-même appuyé́ sur la gâchette. Il a commis l’irréparable.

L’un de ses trafiquants travaillait secrètement pour la police. C’était un « rat », comme les motards appellent leurs faux frères qui jouent un double jeu dangereux en collaborant avec ceux qu’ils appellent les « cochons ». René l’a su. Il l’a attiré dans un guet-apens. Puis, il l’a fixé dans les yeux et l’a tué d’une balle en plein visage. Cet après-midi, à l’église, alors qu’on prêchait de s’aimer les uns les autres, le dernier regard de sa victime lui est-il apparu en flash-back ? Lui seul le sait. Ce qui est certain, c’est qu’il n’y avait pas de pardon possible pour ce traître. Ni de seconde chance. Ainsi le veut « la loi » du milieu criminel. À l’inverse, si un « cochon » décidait de trahir la police en se mettant à collaborer avec les motards, est-ce qu’on passerait l’éponge ? Est-ce qu’on lui donnerait une deuxième chance ? De toute façon, René n’a jamais connu un flic assez ripou pour vouloir lui manger dans la main et travailler contre ses propres collègues en rendant service aux Hells. C’est impensable, cela tient du fantasme. D’ailleurs, il se dit convaincu que tous les policiers du Québec le détestent « à mort ».

Et si René était plus veinard qu’il ne le croit ?

Et si un jour, un flic bien branché sur le monde secret des enquêtes policières venait à lui, en offrant de lui dévoiler des renseignements hautement confidentiels, moyennant de généreuses enveloppes de cash provenant des activités criminelles des Hells ? Tout le monde a un prix, se plaisait à dire Pablo Escobar, le défunt baron colombien de la coke. N’est-ce pas ? Un membre des forces de l’ordre serait-il prêt à devenir un « délateur » personnel pour un motard qui a lui-même éliminé un « agent-source » de la police il y a six mois ? René n’envisagerait pas un tel scénario, même dans ses rêves les plus fous. Les deux bras lui en tomberaient, sans aucun doute.

Pourtant, il n’y a pas si longtemps, à l’époque où il livrait ses commandes de drogue en même temps qu’il livrait de la pizza et des sous-marins, René n’aurait jamais rêvé qu’il célébrerait son mariage comme ce soir, dans une telle opulence.

Sur le plancher de danse, René serre amoureusement son épouse dans ses bras. Il colle son menton dans le cou de Claudine tout en lui caressant le dos et les hanches. Les invités observent le couple et l’applaudissent en attendant d’aller le rejoindre à la fin de ce premier slow. Claudine enlace René en plaquant sa main droite sur le mot « Hells » brodé en lettres rouges sur le dos de la veste de son mari. Puis, elle lui chuchote quelque chose à l’oreille. René la regarde dans les yeux et hésite : il n’est pas certain d’avoir compris. « Donne-moi un bec », lui répète Claudine en souriant.

 

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