Le règne de la grossièreté

Denise Bombardier
On ne peut pas dire que les Québécois s’enfargent dans les fleurs du tapis quand il s’agit de s’exprimer.
Après qu’on ait écarté le vouvoiement, le tutoiement s’est imposé et est devenu quasi obligatoire dans de plus en plus de milieux de la société. « Pour qui y se prend ? », diront nombre de Québécois de quelqu’un qui s’entête à vouvoyer ses interlocuteurs. On se retrouve ainsi dans une société où la familiarité ouvre la voie à la grossièreté.
L’obsession de l’égalité impose sa loi. Oui, nous sommes égaux en droit, mais cela ne signifie pas que nos rapports sociaux ne sont pas soumis à des codes.
Les enfants bien élevés ne s’adressent pas à leurs parents comme à leurs camarades, les jeunes doivent faire preuve d’un minimum de respect et de bienséance envers les personnes âgées et, dans le monde du travail où existe encore une forme de hiérarchie, le subalterne ne tutoie pas son supérieur à moins d’y être invité par ce dernier.
- Écoutez la chronique de Denise Bombardier au micro de Richard Martineau, disponible en balado sur QUB radio :
Violence symbolique
La grossièreté langagière est devenue si envahissante dans ce qu’on appelle l’humour douteux que plus personne n’ose critiquer les humoristes spécialistes d’une langue teintée de matières fécales, d’expressions sexuelles pornographiques et de gestes dont la violence symbolique devrait rester enfermée dans les égouts.
Sur Prime Video, une série québécoise réunit des humoristes dans une curieuse formule où ces derniers doivent résister aux rires suscités par l’un de leurs camarades. Une nouvelle humoriste, en pleine gloire apparemment, a eu l’idée de faire un pet dans la figure d’un de ses co-comiques. Elle s’exécute sans grande difficulté en déclenchant sans doute un malaise insupportable pour bien des téléspectateurs. Ils ont dû zapper en se pinçant le nez.
Personne ne semble protester contre la nouvelle tendance humoristique de cette star bruyante et autosatisfaite. « Au secours ! » devraient crier nos grands humoristes, Yvon Deschamps, Daniel Lemire et Lise Dion.
Si l’humour n’a plus de limites, ne soyons pas surpris que la désagrégation culturelle du Québec s’accélère dangereusement dans les années à venir.