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L'article provient de Le Journal de Montréal
Opinions

Le Québec: la négation de soi

Victor-Lévy Beaulieu en 2011.
Victor-Lévy Beaulieu en 2011. Photo d'archives, Pierre-Paul Poulin
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Jenny Langevin

2025-06-17T18:00:00Z
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Le décès de Victor-Lévy Beaulieu, survenu le 9 juin dernier «aux Trois-Pistoles», laisse assurément un grand vide dans l’univers culturel du Québec enraciné. L’auteur de Race de monde, de L’Héritage, de Bouscotte, de nombreux cahiers littéraires ainsi que d’essais foisonnants sur Melville, Joyce, Nietzsche, était possiblement le plus important écrivain québécois vivant.

Ses mots et ses scénarios ont mis en scène sans honte ni complexe notre langage si particulier, la beauté vitale de nos régions, la lumière de notre culture et aussi la noirceur de nos tares collectives.

VLB a écrit le Québec, et toute son œuvre est un témoignage d’amour à son endroit. Le fleurdelisé et le drapeau des patriotes devant sa vieille maison ancestrale, nichée derrière de luxuriants arbres au bord de la 132, sont aujourd’hui en berne et on n’accuse pas encore, collectivement, le choc de sa mort et le néant qu’il laissera par son absence.

S’affirmer pour se dépasser

Lévy, comme l’appelaient ses amis intimes, incarnait l’inverse de l’écrasement national et de la honte de soi qui affligent aujourd’hui notre peuple. Ses scénarios – notamment celui de L’Héritage – s’inscrivaient également en faux d’une tendance contemporaine à mépriser les classes populaires régionales en considérant que le savoir et la grande culture leur sont inaccessibles. Son absence totale de snobisme face au genre archipopulaire du téléroman est un autre témoignage de l’affection sincère, authentique et profonde que cet homme avait pour ses compatriotes. Beaulieu, sa vie et son œuvre sont un témoignage vibrant de notre valeur et de notre unicité en tant que peuple. En ce sens, il nous fait réfléchir sur l’importance de notre affirmation collective, tant pour prendre conscience de ce qu’il y a de beau en nous que des limites qui sont les nôtres et que l’on doit chercher à dépasser: crispation intergénérationnelle, incompréhension, communications ardues, relations familiales parfois extrêmement tordues et malsaines fondées sur la domination plutôt que sur le respect – des thèmes qui étaient aussi chers au psychiatre Pierre Mailloux, un autre enraciné décédé discrètement en janvier 2024. VLB était donc l’incarnation littéraire de la force vitale québécoise: il proposait de nous voir pour ce que nous étions afin de nous élever.

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Se nier pour se détruire

Paradoxalement, alors même que l’on constate la lumière avec laquelle son œuvre éclaire notre condition collective, le gouvernement du Québec juge approprié de refuser, sans aucune hésitation, de l’honorer de funérailles nationales. Cette décision, rendue sans aucune véritable explication, choque quiconque a un peu d’estime pour la culture québécoise. Il est facile et probablement simpliste d’expliquer cette faute, irrespectueuse pour le peuple du Québec, par des motivations uniquement partisanes – la CAQ, soucieuse de se distancer de toute apparence de velléité souverainiste, lui aurait refusé les honneurs à cause de l’indépendantisme décomplexé de l’homme. Je crois plutôt qu’il s’agit du symptôme d’une maladie insidieuse qui nous afflige de plus en plus sévèrement à mesure que les années passent. Notre pays qui n’en est pas un, ayant raté sa naissance, est mû par une pulsion de mort quasiment irrépressible. Tout ce qui lui rappelle son potentiel vital, tout ce qui lui renvoie une image qui n’est pas faite que de honte, de repentir et de contrition le met profondément mal à l’aise et lui semble dénué de sens.

Même la laïcité intégrale, que l’on associe aux mouvements identitaires québécois contemporains, s’inscrit dans cette négation de nous-mêmes. Dans notre pays aux mille clochers, où les vies des villageois ont, pendant des siècles, été rythmées par l’angélus, déclasser les traces de notre héritage catholique de nos institutions au même titre que celles de toutes les autres religions du monde ne peut qu’affliger quiconque a une once de sensibilité pour ce que nous sommes vraiment.

Comme Philippe Roth l’a démontré dans son roman La tache, se nier soi-même, loin de mener à une libération et à une croissance, ne résulte qu’en une morbide aliénation et un affaissement. Il commencerait à être temps de le réaliser. Lire VLB et revoir ses œuvres télévisuelles me sembleraient une bonne première étape, à défaut d’avoir des leaders nationalistes conséquents.

Jenny Langevin

Québécoise et citoyenne de Salaberry-de-Valleyfield

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