Le Québec est tout à l’envers


Philippe Léger
Où en est le Québec aujourd’hui?
Ah, individuellement: ça va! Tous les palmarès de bonheur le confirment: les Québécois figurent parmi les plus heureux de la planète.
On a de la matière à rendre heureux: on vit plus longtemps que les autres, on vit dans une société plus apaisée et moins violente qu’ailleurs, nos écarts de richesse sont moins criants, les droits des minorités sont mieux protégés que pratiquement partout ailleurs...
Mais collectivement? Comment se perçoit-on?
Collectivement, il flotte un parfum de déclin. Une impression qu’on n’avance plus.
Pour mesurer cet état d’esprit, deux questions ont été ajoutées au sondage de Léger paru dans nos pages cette semaine.
Ça frappe fort: c’est 70% des Québécois qui partagent l’impression que le Québec se porte «plutôt mal», contre seulement 20% qui estiment que ça va «plutôt bien».
Malgré notre bonheur et nos réalisations, c’est un climat décliniste qui caractérise les Québécois à propos d’eux-mêmes.
Individuellement heureux, collectivement pessimistes...
Une société de crise
Tout le monde l’a entendu autour de la table, dans une discussion de famille ou d’amis: « Mais qu’est-ce qui marche encore au Québec?»
Il y a évidemment des choses qui fonctionnent dans notre demi-pays.
Mais une perception reste lancinante: nous vivons une suite ininterrompue de crises se juxtaposant les unes aux autres.
Crise des finances publiques. Crise des services publics. Crise en santé. Crise climatique. Crise en itinérance. Crise en immigration. Crise à la DPJ. Crise des infrastructures. Crise du logement.
J’en oublie, bien sûr...
Et le gouvernement Legault?
On fêtera bientôt la septième bougie au gâteau du gouvernement caquiste – et les sondages montrent que ce n’est pas la fête.
Ce gouvernement est arrivé au pouvoir en 2018 sous la promesse d’un gouvernement autonomiste et de bons gestionnaires.
C’était les deux jambes sur lesquelles s’appuyait le corps de la CAQ.
Et aujourd’hui?
Les Québécois croient que ça va mal – et que le gouvernement n’aide pas. Autre chiffre dévastateur: depuis son arrivée au pouvoir, 67% estiment que le Québec s’est détérioré. Seulement 14% jugent le contraire.
Une gifle.
Le système de santé continue d’être une longue salle d’attente, englué dans les conventions collectives et les intérêts corporatistes. Les coffres de l’État sont historiquement vides. En immigration, le système est détraqué. Aucune véritable sortie de crise n’est envisageable pour le logement, qui déstructure toute une société. La bureaucratie affaiblit les services publics.
Mais le problème, ce ne sont pas les problèmes en tant que tels. Ils existeront toujours.
Le drame de notre époque, c’est la conviction que notre gouvernement, notre État et nos institutions collectives sont devenus des incapables. Incapables de s’y attaquer, incapables de les résoudre.
Vous avez entendu dans les derniers jours que le gouvernement Legault souhaite se relancer avec de nouvelles idées, de nouveaux ministres, en «comprenant la colère des Québécois» et en étant «humble».
Ils auront aussi à combattre cette cynique perception que le «Québec est brisé», comme disait l’autre.