Le promoteur Vincent Chiara gagne le gros lot près de la ligne bleue du métro de Montréal
De nouvelles lois de Québec vont permettre à son entreprise Groupe Mach de construire des projets hors-norme
Dominique Cambron-Goulet
Le promoteur immobilier Vincent Chiara a gagné gros avec le prolongement de la ligne bleue du métro. La Ville de Montréal lui permettra de construire sur les sites des futures stations des milliers de logements dans des tours jusqu’à 25 étages, soit quatre fois la limite actuelle.
Déjà un des plus grands joueurs de l’immobilier au Québec, Groupe Mach, prévoit construire trois tours à l’angle des rues Jean-Talon et Lacordaire, et cinq autres, au coin de Langelier.
En plus d’une hauteur hors-normes de 11 à 25 étages, les projets de l’entreprise de Vincent Chiara comprennent des logements plus petits et dérogent à des dizaines de règles d’urbanisme en vigueur.
| Règlements | Projets Mach | |
|---|---|---|
| Taille minimale des logements | 37 m2 (398 pi2) | 23 m2 (247 pi2) |
| Hauteur (Langelier) | 1 à 6 étages | 17, 20, 20, 22 et 25 étages |
| Hauteur (Lacordaire) | 1 à 10 étages | 11, 16 et 19 étages |
| Recharges de véhicules électriques | Câblage pour 100% des cases de stationnement et 10% de bornes | Pas d’exigences minimales |
| Verdissement | Végétation sur 50% de la cour avant | Exigence retirée |
| Ascenseurs et entrées | Habitations et commerces doivent avoir des entrées distinctes. | Les ascenseurs pourront être partagés entre les logements, les commerces et es espaces institutionnels. |
Or, Montréal entend user d’un nouveau «superpouvoir» reçu du gouvernement du Québec l’an dernier pour les contourner.
Une loi de la ministre de l’Habitation France-Élaine Duranceau adoptée en février 2024 permet aux municipalités de plus de 10 000 habitants d’autoriser des projets résidentiels qui contreviennent à leur règlement d’urbanisme.
Quand cette loi est invoquée, les citoyens n’ont pas le droit de s’opposer au projet via référendum.
Plusieurs urbanistes ont déjà critiqué cette approche.
«Les promoteurs veulent le beurre et l’argent du beurre. Ils veulent qu’on émette vite vite les permis et qu’on les accommode sur toute la ligne. Moi ça m’achale», affirme le professeur à l’Université de Montréal, Gérard Beaudet.
Selon lui, la crise du logement place les municipalités en position de faiblesse face aux promoteurs, alors qu’on souhaite faire aboutir des projets résidentiels rapidement.
Des règles récentes
Le zonage des secteurs où se trouveront les projets de Mach avait pourtant été révisé ces dernières années.
Désormais, la Ville souhaite développer carrément l’équivalent d’une municipalité de la grosseur de Beloeil près de la future station Langelier.
«Il fallait y croire. Quand je l’ai fait, c’était pas brillant et peut-être qu’aujourd’hui des gens vont dire que j’étais visionnaire», soutient le président de Groupe Mach, Vincent Chiara, qui assure ne pas avoir bénéficié d’informations privilégiées.
Dans le secteur Lacordaire, quatre ans de consultations et de travail ont été nécessaires pour fixer les normes d’urbanisme, en 2022. Plusieurs ne s’appliqueront pas au projet de Mach, notamment la hauteur maximale de 10 étages.
«On a changé les normes pour permettre un projet qui est sur mesure pour ce terrain. Mais les normes ne rendent pas le projet plus rentable», se défend le président de Mach.
Ces dossiers illustrent bien «l’habitude des promoteurs de systématiquement négocier les règles du jeu» et des municipalités à accepter ces modifications, juge Gérard Beaudet.
Il voit néanmoins dans ces projets une «certaine continuité» avec la densification déjà réalisée à Anjou ces dernières années.
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Une formalité
Le conseil d’arrondissement de Saint-Léonard et le comité exécutif, dirigé par Valérie Plante, ont déjà donné leur feu vert à l’utilisation du «superpouvoir», appelé article 93.
Le dossier ira maintenant devant le conseil municipal, mais ne sera qu’une simple formalité étant donné l’appui du comité exécutif.
«En peu d'années le contexte social, économique et urbin a évolué considérablement», soutient l'attachée de presse de la mairesse Catherine Cadotte.
En vertu d'une autre nouvelle loi votée par le gouvernement Legault, la Société de transports de Montréal (STM), via sa filiale Transgesco, doit devenir partenaire d’affaires de Mach dans une partie des bâtiments situés au-dessus des édicules de métro.
Ceci permettra de générer «des revenus récurrents pour le transport collectif», avance Mme Cadotte. «C'est gagnant-gagnant», dit-elle.
Le début d’une nouvelle ville

Les cinq tours que prévoit construire Groupe Mach près de la future station Langelier ne sont que le début d’un nouveau quartier, qui pourrait accueillir 25 000 logements, l’équivalent d’une municipalité de la taille de Beloeil.
«C’est la phase un de plusieurs phases, explique le président de Mach, Vincent Chiara. C’est audacieux. C’est un projet qui va donner une nouvelle apparence à ce qu’on va considérer comme le centre-ville de l’est de Montréal.»
Début avril, la Ville présentait son plan de développement du secteur signé par la mairesse Valérie Plante.
Selon les maquettes déposées, les centres commerciaux avec leurs larges stationnements extérieurs feraient en effet place à des dizaines de tours d’habitation.
Mach bien placé
Groupe Mach possède plus de 40% des terrains dans ce secteur de redéveloppement.
En 2020, Vincent Chiara et son partenaire saoudien Zaki Alshowaier ont acheté le Carrefour Langelier au coût de 58 M$, un terrain alors réservé à des fins commerciales.
En janvier, les partenaires ont mis la main, au coût de 28 M$, sur un autre vaste terrain où se trouve actuellement un Maxi.
Nouveau Griffintown?
Dans le quartier Griffintown, 9700 logements ont vu le jour entre 2007 et 2023, soit beaucoup moins que ce qui est prévu dans le secteur Langelier.
L’urbaniste Gérard Beaudet croit que la Ville «devrait avoir tiré certaines leçons de Griffintown» où «on avait oublié de se préoccuper du transport collectif, des écoles, de la largeur des rues».
Il soulève toutefois que la taille minimale des logements dérogatoire prévue dans le projet de Mach risque d’attirer le même profil d’acheteurs.
«Si on ne produit que des logements de cette taille-là, on ne peut penser que des familles vont s’installer. Ces projets-là ne peuvent pas générer de la mixité socio-économique», affirme M. Beaudet.
De son côté, Vincent Chiara assure que ce n’est «qu’une norme» et que les logements seront «en moyenne autour de 700 pieds carrés».
Joueur majeur au Québec
Fondé en 2000 par Vincent Chiara, Groupe Mach est devenu ces dernières années un incontournable de l’immobilier avec :
- De nombreux centres commerciaux aux quatre coins du Québec, notamment à Laval, Trois-Rivières, Rimouski, Granby, Sherbrooke et Victoriaville.
- Une dizaine d’immeubles aux abords du boulevard Charest, dans Saint-Roch, à Québec.
- Des projets résidentiels majeurs comme le redéveloppement du site de l’ancienne tour de Radio-Canada à Montréal.
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