Le premier grand scientifique québécois est mort tragiquement dans un face-à-face

Martin Landry
Le 15 juillet 1944, les Québécois, mais aussi des scientifiques des quatre coins du monde, sont en état de choc. Le frère Marie-Victorin vient de mourir à la suite d’un accident de la route à Sainte-Rosalie.
Il revenait d’une excursion botanique avec des amis quand le véhicule dans lequel il prenait place a percuté une automobile roulant en sens inverse. Les neuf personnes à bord des véhicules impliqués sont blessées. Le cœur du directeur du Jardin botanique arrêtera de battre pendant son transport vers l’hôpital.
CONRAD KIROUAC
Conrad Kirouac est né le 3 avril 1885 à Kingsey Falls près de Drummondville dans une famille plutôt aisée. Il est l’unique survivant d’une fratrie de dix enfants, tous décédés de maladie en bas âge. Le jeune Conrad a néanmoins une santé fragile. Il reçoit son éducation chez les Frères des écoles chrétiennes. À l’âge de 16 ans, malgré les résistances de son père, il se joint à cette communauté pour faire son noviciat. C’est à ce moment qu’il change son nom de naissance pour devenir le frère Marie-Victorin.
AUTODIDACTE

Marie-Victorin n’a pas beaucoup étudié la science et surtout pas la botanique avant de devenir lui-même expert en la matière. Il développe ses compétences en lisant chaque numéro de la revue Naturaliste canadien. Il passe beaucoup de temps à explorer la nature québécoise. Il sillonne les campagnes avec une grande curiosité scientifique, ce qui l’élève au rang d’expert de la flore de chez nous. Puis, au printemps 1908, il publie son premier article scientifique «Addition à la flore d’Amérique» dans cette prestigieuse revue, Naturaliste canadien.
Ses recherches sur la flore québécoise, entre autres dans des régions qui n’avaient jamais été documentées par les botanistes avant lui, intéressent la communauté scientifique.
Marie-Victorin concentre ses travaux sur la révision complète du catalogue des végétaux du Canada français. Il attire l’attention du monde scientifique. On lui attribue la découverte de 50 nouvelles espèces de végétaux dans le Témiscouata.
Sans diplôme universitaire, il donnera des cours de botanique et sera même titulaire de la chaire de botanique de l’Université de Montréal. Rapidement, le frère Marie-Victorin regroupe autour de lui une petite équipe de chercheurs compétents comme Jacques Rousseau, Jules Brunel et Ernest Rouleau. Ses brillantes recherches l’amènent à obtenir un doctorat et le prestigieux titre de professeur permanent à l’université. Le frère Marie-Victorin développe une approche moderne de l’enseignement, il place la démarche scientifique au-dessus des explications traditionnelles de la religion catholique.
TUBERCULOSE

Marie-Victorin commence à enseigner bien jeune, dès 1903, mais sa première année d’enseignement est chamboulée par la maladie. Il souffre d’hémorragie due à une tuberculose qu’il a contractée. Sa convalescence le force au repos, puis l’amène à s’isoler et à lire de nombreux ouvrages scientifiques, comme la Flore canadienne de l’abbé Léon Provancher.
JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL
La création du magnifique jardin, en 1931, représente l’une des réalisations les plus marquantes du frère Marie-Victorin. Imaginez-vous donc que Montréal discutait depuis 1863 de la conception d’un tel jardin, sans résultat concret. Créé au début de la Grande Dépression, le Jardin botanique de Montréal souffrira au départ d’un financement insuffisant et prendra plusieurs années à prendre forme.

FLORE LAURENTIENNE
Marie-Victorin publiera Flore laurentienne en 1935. Le livre est ni plus ni moins un nouvel inventaire des végétaux de la province de Québec. L’ouvrage scientifique présente en détail des informations sur 1917 végétaux du sol québécois. En plus d’apporter un regard scientifique plus juste, il est rédigé pour être accessible au grand public. Ainsi, Marie-Victorin contribue à faire comprendre aux Canadiens français toute la richesse du patrimoine naturel du Québec.
LEGS

Chercheur infatigable, Marie-Victorin participe dès 1923 à la fondation de la Société canadienne d’histoire naturelle et de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences. En tant que botaniste, il est lu, étudié et respecté partout en Amérique du Nord et en Europe. Il recevra au cours de sa prolifique carrière de nombreuses distinctions, ici au Canada, mais aussi à Cuba, en Haïti, en Angleterre et en France.
Il sera le premier grand vulgarisateur de la culture scientifique au Québec, notamment avec ses publications dans les médias de masse. Figure inspirante pour les jeunes, Marie-Victorin est l’un des hommes qui influenceront le vent de changement et de modernité qui se dessine au Québec au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Au moment de sa mort en 1944, Marie-Victorin est au sommet de sa carrière de scientifique et est un véritable leader d’opinion dans la société québécoise. Si son départ prématuré à l’âge de 59 ans a foudroyé la communauté scientifique, il est indispensable d’honorer la mémoire et les legs de ce pionnier de l’éducation scientifique québécoise.