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L'article provient de TVA Nouvelles
Société

Le premier coureur des bois était Étienne Brûlé, un aventurier analphabète qui a enchaîné les exploits et les premières

Étienne Brûlé est le premier 
Européen à explorer les lacs 
Supérieur, Érié, Ontario et Huron
(peut-être aussi le lac Michigan). 
Il voyage aussi au sud vers l’actuel 
État de Pennsylvanie et le nord 
de la Huronie.
Étienne Brûlé est le premier Européen à explorer les lacs Supérieur, Érié, Ontario et Huron (peut-être aussi le lac Michigan). Il voyage aussi au sud vers l’actuel État de Pennsylvanie et le nord de la Huronie. Photo Domaine Public
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Photo portrait de Martin Landry

Martin Landry

2025-06-07T04:00:00Z
2025-06-07T14:49:23Z
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Au XVIIe siècle, les Anglais, les Espagnols, les Néerlandais, les Français, les Danois et les Suédois se ruent sur l’Amérique du Nord pour tenter d’en posséder un morceau.

Samuel de Champlain rêve de fonder, à partir de la vallée du Saint-Laurent, un empire français en Amérique. La traite des fourrures semble la ressource qui va lui permettre de financer son projet.

Le problème, c’est que les premiers Français en Amérique du Nord sont peu nombreux. Il a absolument besoin des Autochtones et il n’est pas en mesure d’imposer le français comme langue des affaires. Il lui faut donc des gens capables de parler les langues autochtones.

Durant la vingtaine d’années que passe Étienne Brûlé en Amérique, il visite plusieurs régions du Nord-Est américain.
Durant la vingtaine d’années que passe Étienne Brûlé en Amérique, il visite plusieurs régions du Nord-Est américain. Collection d’œuvres d’art du gouvernement de l’Ontario

Ces interprètes sont appelés, à l’époque, des « truchements ». Ces hommes, qui connaissent les langues indigènes, deviendront indispensables à l’établissement des grandes routes commerciales, mais aussi à l’enracinement des Européens au Canada.

Le premier de ces truchements se nomme Étienne Brûlé, mais ce personnage a longtemps été absent de nos livres d’histoire.

L’HOMME DE CONFIANCE DE CHAMPLAIN

On pense qu’Étienne Brûlé est né autour de 1592 à Champigny-sur-Marne près de Paris. Il arrive au Canada à l’adolescence en tant qu’homme à tout faire quelque part entre 1608 et 1610. Il s’adapte rapidement à son nouvel environnement, il est attiré par les grands espaces, il aime cette liberté qu’offre l’Amérique.

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En 1610, Champlain l’envoie passer l’hiver chez les Algonquins, auprès du chef Iroquet. Cette année-là, le clan qui accueille le jeune Brûlé aura fort probablement établi son campement en Huronie.

Le jeune Brûlé est donc le premier Européen à traverser en canot le saut Saint-Louis (les rapides de Lachine, près de Montréal). Plus tard, quand Champlain s’aventurera sur ces rapides, il écrira que c’était une première pour un chrétien, « ... hormis mondit garçon », en parlant d’Étienne Brûlé. D’ailleurs, cette phrase nous permet de penser que Champlain était attaché émotionnellement à ce jeune coureur des bois.

Bref, ces mois passés en Huronie parmi les Autochtones permettent au jeune Étienne Brûlé d’apprendre les coutumes des Premières Nations, d’intégrer un mode de vie plus proche de la nature et de découvrir qu’il avait une facilité pour l’apprentissage des langues.

Ça tombe bien, parce que Champlain est à la recherche de diplomates capables d’établir des liens commerciaux, et ce jeune Français va devenir un élément incontournable de sa stratégie.

« Aussi je vis mon garçon qui vint habillé à la sauvage, qui se loua du traitement des sauvages, selon leur pays, & me fit entendre tout ce qu’il avoit veu en son yvernement, & ce qu’il avoit apris desdicts sauvages. [...] Mon garçon [...] avoit fort bien apris leur langue. » — Samuel de Champlain

Durant les quatre années qui suivent son retour, on perd la trace de ses déplacements. On pense qu’il vivra au pays des Hurons. Ce qu’on sait c’est qu’il réapparaît en 1615 et qu’il est envoyé en mission chez les Andastes, des alliés des Hurons, pour solliciter leur appui pour une campagne militaire.

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Même si l’expédition n’est pas une grande réussite, elle lui permet d’explorer plus profondément l’intérieur du territoire. C’est d’ailleurs pendant ce voyage qu’il en profite pour retourner momentanément en France, se marier et toucher une dot.

On le retrouve au Canada en 1621 lorsqu’il participe à une expédition pour tenter de trouver des mines de cuivre.

« Environ 80 ou 100 lieuës des Hurons, il y a une mine de cuyvre rouge, de laquelle le Truchement Bruslé me monstra un lingot au retour d’un voyage qu’il fit à la Nation voisine avec un nommé Grenolle. » — Gabriel Sagard

C’est lors de ce voyage qu’il devient le premier Européen à naviguer sur quatre des cinq Grands Lacs. Il en aura plusieurs, des premières, Étienne Brûlé, mais nous ne connaissons pas bien l’ensemble de ses explorations parce qu’il n’a pas cartographié ni laissé d’écrits sur ses voyages.

Champlain et les Récollets, l’ordre auquel appartenait le frère Gabriel Sagard.
Champlain et les Récollets, l’ordre auquel appartenait le frère Gabriel Sagard. Photo Domaine Public

En fait, il faut savoir que Brûlé est analphabète et ne laissera donc que quelques récits oraux qui seront retranscrits par d’autres. Malgré tout, plusieurs historiens pensent que Brûlé aurait participé à la rédaction du dictionnaire de la langue huronne du frère Gabriel Sagard.

La signature d’Étienne Brûlé.
La signature d’Étienne Brûlé. Photo Domaine Public

Certaines sources proposent que, durant ses années de traite, Brûlé aurait fait transiter en Europe plus de 10 000 peaux de castor par année. Cette quantité impressionnante représenterait les deux tiers de toutes les exportations de l’époque.

UN HOMME LIBRE

La France du XVIIe siècle est une société plutôt rigide, le roi et sa cour exercent un pouvoir absolu et autoritaire, souvent de manière oppressive et sans respecter les libertés du peuple.

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En mettant le pied en Amérique, Étienne Brûlé se laissera emporter par un élan de liberté et refusera les dogmes des autorités françaises.

Dès l’âge de 16 ou 17 ans, il vivra dans une liberté surprenante pour un homme de son époque, autant dans sa vie sexuelle que dans ses croyances profondes. C’est cette liberté qui rend ce personnage aussi fascinant. Avant-gardiste, ouvert sur le mode de vie des Autochtones, il est un trait d’union culturel incontournable lors des premiers jours de la présence française au Canada.

Cette grande liberté et son désir de faire des affaires l’amènent à collaborer avec les Anglais pendant la prise de contrôle de la colonie par les frères Kirke (1629-1632). En 1632, cependant, la ville de Québec est rendue aux Français en vertu du traité de Saint-Germain et revient sous la domination française.

Les frères Kirke prennent Québec en 1629. Étienne Brûlé fera alors des affaires avec l’envahisseur britannique.
Les frères Kirke prennent Québec en 1629. Étienne Brûlé fera alors des affaires avec l’envahisseur britannique. Photo OILETTE, IMPRIMÉE EN ANGLETERRE D'APRÈS LE DESSIN EN NOIR ET BLANC DE R. CATON WOODVILLE

Brûlé sera accusé de trahison. Jamais Champlain ne lui pardonnera d’avoir collaboré avec l’ennemi durant cette période d’occupation. Pour éviter l’échafaud, il se réfugie au pays des Hurons.

Victime d’une autre trahison ou bouc émissaire de l’épidémie de petite vérole qui frappe de plein fouet les Hurons, Étienne Brûlé est assassiné autour de 1632.

Si plusieurs ont raconté qu’il aurait été torturé et mangé, on pense qu’il a tout simplement été assassiné pour des raisons politiques, possiblement à cause de ses relations avec les Sénécas ou une autre tribu hostile aux Hurons.

À mon avis, ce qui rend la vie d’Étienne Brûlé en Amérique si captivante, c’est cette liberté inébranlable qu’il portait, une liberté enviée par plusieurs. Personnage indéniablement courageux, visionnaire, curieux, il sera le premier lien culturel entre les Français et les Premières Nations.

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