Le parrain


Richard Martineau
Le 6 janvier, le magazine anglais The Economist a consacré sa une à Vladimir Poutine.
Un dessin montrait le président russe confortablement assis sur un trône avec une kalachnikov déposée sur ses genoux.
Mister Poutine Will See You Now, titrait le magazine.
On aurait dit une affiche pour Scarface, le film culte de Brian De Palma.
UNE STRUCTURE MAFIEUSE
Je suis sûr que Garry Kasparov, l’ex-champion d’échecs devenu l’un des principaux adversaires de Poutine, a adoré ce dessin, car pour lui, Poutine n’est pas un chef d’État ni même un chef de guerre.
C’est un gangster.
Un bandit qui a remplacé le gouvernement russe par une structure inspirée de la mafia italienne, avec un « parrain » tout en haut et des « capos » qui répondent directement à ses ordres.
« Le régime de Poutine ne s’est jamais soucié que d’une chose : l’argent », écrivait Kasparov dans son livre, Poutine : des Jeux et des geôles, publié en 2014, à la veille des Jeux de Sotchi. « Pour qui veut comprendre les mécanismes du régime de Poutine, la criminologie est une science plus utile que la kremlinologie... »
Contrairement à l’image qu’on se fait de lui, Poutine n’est pas un idéologue, dit Kasparov. La seule chose qui l’intéresse chez Marx, c’est le concept de capital.
« Money, that’s what I want », comme chantaient les Beatles.
VISER SON PORTEFEUILLE
Pour Kasparov, les sanctions économiques contre le régime de Poutine ne sont pas aussi inutiles que certains voudraient le faire croire.
« Les armes les plus efficaces dont dispose le Kremlin ne sont plus les chars : ce sont les banques. » (page 186 de son livre)
Vous voulez faire mal à Poutine ? dit Kasparov. Visez son portefeuille et celui de ses proches collaborateurs.
Dans la mafia, les « capos » sont fidèles à leur chef pour une seule et unique raison : parce que celui-ci leur permet de s’enrichir.
Le jour où le « Parrain » ne pourra plus remplir les coffres de ses amis, ceux-ci se retourneront contre lui et lui trancheront la jugulaire.
« Il faut révoquer les visas des oligarques proches de Poutine, traquer leurs comptes en banque, enquêter sur leurs sources de revenus. »
« Plus matérialistes que nationalistes, Poutine et ses proches se soucient davantage de leurs avoirs à l’étranger que des missiles en Europe de l’Est, de l’adhésion à telle ou telle institution internationale ou du bien-être de leurs concitoyens. Le nerf de la guerre, ce ne sont pas les tanks, ce sont les banques... »
NOTRE SYSTÈME SANGUIN
Le hic est que les fortunes mirobolantes que Poutine et ses sbires ont amassées en pompant les ressources naturelles de la Russie irriguent depuis longtemps l’économie mondiale.
« L’argent des oligarques de Poutine ne se trouve pas stocké dans une banque, a expliqué Kasparov lors d’un entretien pour Desk Russie en juin 2021. Il est investi dans des clubs de football, dans des organismes de bienfaisance, dans l’immobilier.
« Cet argent est disséminé partout, et on ne peut pas le geler ou le confisquer. Tout le système sanguin occidental est irrigué avec de l’argent russe ! Il n’est pas trop tard pour y mettre fin, mais ce sera très douloureux pour l’économie occidentale. »
Sommes-nous prêts à faire ce sacrifice ?