Le naufrage de l’école: quand le conformisme tue l’émancipation intellectuelle

Anne-Emmanuelle Lejeune Ex-enseignante depuis septembre 2024 en reconversion professionnelle
L’institution scolaire, autrefois garante de l’émancipation intellectuelle, s’est progressivement métamorphosée en un instrument de formatage des esprits. Cette transformation inquiétante mérite une analyse approfondie, tant ses conséquences sur notre société sont profondes.
Force est de constater que l’école contemporaine privilégie désormais la transmission mécanique des compétences au détriment du savoir et de l’éveil intellectuel. Les programmes surchargés et la standardisation excessive contraignent les enseignants à favoriser le psittacisme plutôt que la réflexion personnelle.
Cette approche pédagogique déficiente conduit à l’émergence d’une génération d’apprenants qui, bien que dotés de connaissances techniques, peinent à développer un véritable esprit critique. Pour ce faire, les enseignants doivent retrouver la liberté pédagogique et d’expression nécessaire pour accompagner leurs élèves dans cette démarche d’éveil et de réveil.
Uniformisation
Cette dérive vers l’uniformisation est particulièrement visible au Québec, où la récente loi 23 confère au ministre de l’Éducation un pouvoir tout-puissant: il gère désormais les dossiers disciplinaires des enseignants sur la place publique, ce qui encourage la surenchère médiatique de jugements. Il met son grain de sel public dans le maintien ou non de projets particuliers dans les écoles alors que son ministère a annoncé des compressions de 200 M$ en éducation.
L’institution scolaire, prisonnière de ses contraintes administratives et temporelles, étouffe la créativité au profit de l’imposition d’une homogénéisation extrême. Les élèves, soumis à des évaluations normatives constantes, perdent progressivement leur capacité naturelle à questionner le monde qui les entoure. Comme le soulignait pertinemment Einstein, il est miraculeux que la curiosité survive encore à l’éducation formelle.
Les conséquences de cette évolution sont particulièrement délétères pour notre société. En privilégiant la conformité au détriment de l’autonomie intellectuelle, l’école façonne des consommateurs dociles mal outillés pour affronter la complexité du monde. Ces citoyens, privés des capacités de discernement essentielles, deviennent vulnérables aux manipulations et peinent à exercer leur liberté en se complaisant dans l’unanimisme ambiant et sécuritaire.
Vocation première
Étienne Chouard dénonce la fabrication d’«enfants politiques», des individus qui se choisissent des maîtres sans comprendre les mécanismes de l’assujettissement. L’école est devenue l’antithèse de ce qu’elle devrait être. Comme le disait Anatole France: «N’enseignez pas aux enfants à penser, enseignez-leur à penser librement.»
Face à ce constat, il devient impératif de repenser fondamentalement la mission de l’école. Cette institution doit renouer avec sa vocation première: former des esprits libres et éclairés. Pour y parvenir, elle doit cultiver le doute comme méthode d’apprentissage, encourageant les élèves à se questionner. Comme l’affirmait Aristote, le doute constitue le commencement de la sagesse.
En définitive, l’enjeu est de taille: il s’agit de transformer une institution devenue une machine à conformisme en un véritable creuset d’émancipation intellectuelle. Ce n’est qu’à cette condition que l’école pourra préparer les générations futures à construire une véritable démocratie qui se définit par son étymologie.

Anne-Emmanuelle Lejeune
Ex-enseignante depuis septembre 2024 en reconversion professionnelle