Le mythe de la guerre dépassée

Lucien Lizerot, consultant en développement économique et détenteur d’une maitrise en relations internationales de l’Université de Montréal.
Le monde, particulièrement l’Occident, est sous le choc depuis l’invasion par la Russie du territoire ukrainien. Bien que les annexions et escapades russes au-delà de leurs frontières soient des évènements historiquement assez fréquents (le plus récemment en Ukraine ainsi qu’en Géorgie), cette dernière aventure est d’une échelle beaucoup plus large et d’une nature beaucoup plus directe. Il ne s’agit plus de l’extension de quelques kilomètres d’une frontière contestée, de l’envoi de quelques soldats sans uniforme officiel, ou de trucages d’élections locales. L’opération russe actuelle est une attaque totale et assumée de l'ensemble du territoire ukrainien.
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Une des réactions que l’on retrouve le plus dans les médias, les communiqués officiels ainsi que dans les discussions citoyennes concernant l’invasion de l’Ukraine est l’idée qu’une guerre autant assumée et directe est un concept daté, presque démodé, n’appartenant pas au XXIe siècle. Les actions de la Russie et de son président sont décrites comme moyenâgeuses, en contradiction directe avec les normes de notre temps. L’idée même d’une guerre ouverte sur le continent européen embrouille les esprits – comment est-ce possible pour n’importe qui de se lancer dans une guerre à notre époque?
Sentiment de supériorité
Cette idée des guerres dépassées est, il faut le souligner, une manière de penser très eurocentrique. Les populations occidentales, particulièrement les populations européennes, ont créé à travers les années une distanciation mentale à la guerre et une perception selon laquelle un tel évènement n’est plus vraiment possible dans leurs sociétés.
La guerre, même si on peut l’observer de temps en temps dans le journal et à la télévision, est devenue un événement lointain, souvent associé à la condition de pays dits «du tiers-monde». Même lorsque des États occidentaux participent activement à ces guerres lointaines ou les soutiennent, on ne s’imagine pas une seconde qu’un conflit puisse éclater «chez nous». Il est évident que la période de paix prolongée sur nos territoires est un facteur explicatif majeur dans cette manière de penser. Cependant, il est également pertinent de se questionner sur l'origine de cette perception.
Elle découlerait, entre autres, de notre histoire coloniale et d'un sentiment de supériorité sociétale que les pays occidentaux peuvent parfois entretenir vis-à-vis des problèmes du reste du monde.
Au-delà de tous les enjeux politiques, historiques, économiques et humains, l’invasion de l’Ukraine dévoile actuellement la conception très occidentale que beaucoup d’entre nous peuvent avoir vis-à-vis du concept de guerre. La guerre n’est pas un phénomène «impensable» ou «dépassé» dans un XXIe siècle «démocratique et civilisé».
Au contraire, elle reste un outil souvent utilisé par des États à travers le monde – on l’observe actuellement à travers l’implication de plusieurs États, y compris des États occidentaux, dans des conflits au Moyen-Orient ainsi que sur le continent africain. En tant que sociétés, nous devons repenser la relation mentale que nous entretenons avec la guerre.
Aucune société n’est «trop avancée» pour échapper aux dynamiques historiques et géopolitiques pouvant entraîner des gouvernements à s’engager dans des guerres totales. À travers nos journaux et nos écrans, il ne suffit plus de se contenter de la distance qu’il y a entre nous et une guerre dans le monde. Il faut apprendre à se questionner sur le pourquoi et le comment de cette guerre afin de ne pas tomber dans l’insouciance et le détachement.

Lucien Lizerot, consultant en développement économique et détenteur d’une maîtrise en relations internationales de l’Université de Montréal.