Rien de fait encore pour stopper les travaux du golf illégal aux abords du lac Memphrémagog

Martin Jolicoeur
Deux semaines après que fut révélée la construction non autorisée d’un terrain de golf sur le domaine privé d’un riche propriétaire riverain du lac Memphrémagog, la Ville et le ministère de l’Environnement n’ont toujours pas entrepris de recours pour mettre fin aux travaux.
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En réponse aux questions du Journal, le ministère de l’Environnement du Québec a expliqué être toujours en analyse des faits recueillis sur place le 31 juillet dernier et assurer «un suivi serré du dossier». Mais rien, nous confirme-t-on, n’a encore été fait par le ministère pour faire cesser les travaux en cours.
Même chose du côté de l’hôtel de ville de la petite municipalité d’Austin, dans les Cantons-de-l’Est. En entrevue, la mairesse Lisette Maillé a reconnait que même si le dossier préoccupe, sa municipalité n’avait pas encore émis de contravention ou d’ordonnance pour forcer le propriétaire à mettre fin aux travaux.
Un golf en pleine forêt
Il y a deux semaines, nous écrivions que le couple de propriétaires, formé de Glenn Chamandy, PDG de la multinationale du textile Gildan, et son épouse, Amal Murad, avait entrepris, sans autorisation apparente, d’importants travaux d’aménagement d’un terrain de golf sur son domaine privé d’Austin, non loin de l’abbaye de Saint-Benoît-du-Lac.

Le 17 juillet, la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ) a émis une ordonnance pour faire cesser les coupes d’arbres dans une érablière protégée par la loi, de même que des travaux de remblai et d’entreposage sur un territoire protégé (zoné vert) d’une superficie évaluée à 4,5 hectares.
Rien toutefois n’aurait encore été entrepris par Austin ou le ministère de l'Environnement pour faire cesser les travaux sur le reste du terrain («zoné blanc») qui excédent le territoire protégé par la CPTAQ. De quelle superficie de territoire «zoné blanc» parle-t-on? Nul ne saurait dire exactement.
Mais selon les dernières photos aériennes, diffusées par Le Reflet du Lac, de Magog, les travaux de déboisement en cours auraient déjà permis la construction non autorisée d’un grand lac artificiel et l’aménagement d’au moins trois allées de golf.
• Écoutez aussi cet épisode balado tiré de l'émission de Francis Gosselin, diffusée sur les plateformes QUB et simultanément sur le 99.5 FM Montréal :
18 pelles mécaniques
À ces photos, prises par drone, s’ajoute le témoignage non moins inquiétant d’un émondeur, soutenant sur Facebook avoir participé aux travaux de déboisement des lieux (voir la capture ci-bas). Ce dernier parle en outre de l’utilisation de «18 pelles mécaniques», de «20 porteurs», et de broyeurs à bois (chippers) «de 18 pouces», responsable de la formation d'impressionnants amoncellements de paillis (tas de ripe) de «30 pieds de haut, par 200 de long et 200 de large».

«J’ai bûché pour lui trois jours, a-t-il révélé sur un groupe destiné aux propriétaire de terres à bois. Ça n’avait pas de sens. Il [le popriétaire] a détruit pratiquement plus de 200 acres de terrain pour se faire un golf. Personne ne comprend comment il a fait pour faire disparaître ça. (....) Ça lui coûtait 14 000$ par jour juste pour payer la machinerie sans les salaires des hommes.»
Le travailleur forestier, auteur de ce témoignage, n'a pas donné suites aux demandes d'entrevue du Journal.
Malaise d’intervention
Des informations qui inquiètent au plus haut point plusieurs groupes de défense de l’environnement, dont l’organisme Memphrémagog Conservation (MCI), à l’origine des premiers signalements au ministère de l'Environnement.

«Nous ne comprenons pas pourquoi rien n’a encore été fait alors que la situation est connue depuis déjà des semaines, se désole la présidente du MCI, Johanne Lavoie. Pourquoi les lois que nous avons ne sont pas appliquées? Quel message croyez-vous que cela envoie à la population?»
Daniel Green, coprésident de la Société pour vaincre la pollution, partage ces mêmes questionnements. «Dans ce dossier, comme dans d’autres, je crois qu’il ne faut plus attendre Québec pour agir. Ce n’est pas une question de manque de compétence, mais de malaise d’intervention. Le ministère de l’Environnement intervient partout de moins en moins, et ne le fait plus que sous la pression. On ne peut que le déplorer.»
Sur «une base solide»
Sur la défensive, la mairesse d’Austin explique que, même si aucune mesure n’a encore été prise contre les propriétaires, la municipalité ne reste pas les bras croisés pour autant. Jusqu’à ce qu’elle soit alertée il y a plus d’un mois, la municipalité croyait que les propriétaires aménageaient un vignoble ou un verger.

Après s’être vu interdire l’accès à la propriété, les inspecteurs de la Ville auraient finalement pu accéder au terrain la semaine dernière afin de faire des vérifications requises, a confirmé la mairesse Maillé. «Ce sont des choses complexes à démontrer. Avant de se lancer, il faut pouvoir s’appuyer sur une base solide», a-t-elle déclaré, ajoutant vouloir prendre le temps de faire les choses prudemment et consciencieusement.
Prétextant un manque de disponibilité, comme il le fait depuis deux semaines, le ministre de l’Environnement Benoit Charette garde le silence et a refusé de nous accorder une entrevue sur le sujet.
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