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L'article provient de TVA Sports
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Le laborieux processus devant David Reinbacher

Photo MARTIN CHEVALIER
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Photo portrait de Anthony Martineau

Anthony Martineau

2024-01-10T13:12:58Z
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«On considérait que David Reinbacher était le joueur qui pourrait aider l’équipe le plus. On a des attaquants capables de maintenir un certain rythme de production, que ce soit Cole Caufield, Nick Suzuki ou Kirby Dach, et on est persuadé qu’ils ont encore beaucoup de potentiel à aller chercher.» 

Les paroles que vous venez de lire sont celles de Kent Hughes.

Le 28 juin dernier, au repêchage à Nashville, le directeur général du CH expliquait ainsi le choix de son club qui avait préféré, avec sa cinquième sélection au total, repêcher Reinbacher, un défenseur, plutôt que l’un des nombreux attaquants toujours disponibles à ce moment.

«S’il avait été un défenseur gaucher, ça nous aurait peut-être refroidis un peu, avait-il ajouté. Mais du côté droit, on a moins de profondeur.»

Le temps nous dira si Montréal a pris la bonne décision. Mais en laissant sur la table bon nombre d'attaquants de talent (citons ici les Michkov, Benson et Leonard, notamment) dans le cadre du choix de l’arrière autrichien, Hughes et ses acolytes ont bien malgré eux créé une réalité où la pression, sur les épaules du jeune homme, sera grande à son arrivée officielle en Amérique du Nord. 

Et tout récemment, cette rumeur voulant que les dirigeants de la Sainte-Flanelle aient refusé une transaction impliquant leur cinquième choix de 2023 (devenu Reinbacher) pour le jeune joueur d'avant américain Cutter Gauthier en a rajouté une couche. 

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Getty Images via AFP
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Lorsqu’on analyse la banque de jeunes joueurs et espoirs du Canadien, en attaque, il semble manquer quelque chose. Quelque chose comme du «talent élite». Et pour certains, ce «talent élite» était à portée de main, au dernier repêchage.

Voilà pourquoi Reinbacher, qui n’a absolument aucun lien avec les besoins du Tricolore en matière de talent offensif, est condamné à livrer la marchandise. En fait, jusqu’au moment où il aura vraiment su prouver sa valeur en bleu, blanc et rouge, il semble (très malheureusement) acquis qu’il demeurera, aux yeux de plusieurs, «le joueur sélectionné à la place d’un attaquant au grand potentiel.» 

Et prouver sa valeur, dans une ligue comme la Ligue nationale (LNH), n'a rien de facile. Il faut passer par un inévitable processus. Un laborieux processus rempli de pièges, d’embûches et de défis. 

Moritz Seider et David Jiricek, deux défenseurs présentant de nombreuses similitudes avec Reinbacher, ont justement vécu ce processus, ces dernières années. Ils le vivent encore, d'ailleurs.

Et au cours des dernières semaines, ils ont tous les deux accepté de s'entretenir avec l’auteur de ces lignes. 

L'importance de la patience avec un jeune arrière 

Moritz Seider a fait ses débuts dans la LNH en 2021-2022, soit deux ans après avoir été sélectionné au sixième rang de l’encan de 2019. 

Après sa sélection, l’imposant défenseur droitier de 6 pieds 3 pouces et 205 livres a d’abord disputé une saison dans la Ligue américaine de hockey (LAH) avant d’enchaîner avec une campagne dans la SHL, la meilleure division suédoise. 

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Comme c’est souvent coutume avec les Red Wings, la patience a été priorisée comme stratégie de développement. L’équipe a préféré voir Seider se développer physiquement et s’affirmer sur 200 pieds avant de lui faire signe pour une première fois. Et cette façon de faire a semble-t-il été la bonne avec lui: sa première audition dans la LNH, au terme de ces deux saisons, a été concluante à souhait. 

Le numéro 53, un défenseur on le rappelle, a terminé sa première campagne dans le circuit Bettman fort d’une fiche de 50 points (!) en 82 matchs. Il a mené son équipe pour le temps de jeu moyen et a pris le deuxième rang de celle-ci pour les tirs au but et les mises en échec. Bref, il était prêt et ç’a paru. 

Photo d'archives, AFP
Photo d'archives, AFP

N'empêche, Seider insiste pour dire que rien de cette première saison, malgré ses succès, n’a pas été facile. Une sorte de mise en garde pour Reinbacher et les jeunes loups du CH qui passeront eux aussi par cette étape, ces prochaines années. 

«J’ai eu besoin d’un bon deux mois avant de me sentir confortable dans la LNH», confie le jeune homme.

David Jiricek, un autre arrière droitier au fort gabarit (6 pieds et 4 pouces, 199 livres), a lui aussi été sélectionné sixième au total, mais c'était par les Blue Jackets de Columbus et lors du repêchage de 2022 (celui de Juraj Slafkovsky). 

Dans son cas également, on n'a rien voulu brusquer. Outre quatre petits matchs (deux en octobre 2022 et deux en avril 2023) dans la LNH, les dirigeants de la formation de l'Ohio ont choisi de lui faire passer sa première saison professionnelle dans la LAH.

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Et Jiricek est le premier à dire que cette décision fut la bonne. 

«Ç’a tout changé, honnêtement! J'ai tranquillement pu me construire en tant que joueur professionnel, en étant davantage isolé. Je suis très reconnaissant d’avoir pu y jouer [dans la LAH]», lance-t-il avec conviction. 

Un piège à éviter 

À sa première saison dans la LAH et au même âge que Seider à l'époque, Jiricek a été plus productif que le défenseur des Red Wings: 38 points en 55 matchs, contre 22 points en 49 parties pour Seider. 

Mais cette année, à sa première «vraie» campagne dans le circuit Bettman, la production offensive de l'arrière tchèque est jusqu'ici très modeste: après 36 duels, il ne compte que neuf points, dont un seul but. Il a même été laissé de côté, il y a quelques jours. 

«C'est sûr que j'aimerais être plus décisif en attaque! Mais je ne joue pas en avantage numérique, donc c'est difficile. J’ai toujours été un défenseur productif et je souhaite continuer à apporter ce type de rendement à mon équipe, mais c’est différent de tout ce que j'ai connu avant. À tes premiers moments dans la LNH, on te demande de bien défendre, quitte à laisser de l’offensive sur la table. Il faut juste trouver un équilibre.» 

Getty Images via AFP
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Et cet «équilibre» peut être très difficile à trouver en tant que recrue précise Moritz Seider.

«Quand tu es jeune et que tu commences dans la ligue, tu veux jouer ton match "A" et dominer chaque soir. Tu veux impressionner. Mais c’est impossible! J’ai appris, au fil des semaines, à préconiser un style constant et fiable plutôt que de toujours tenter le coup de circuit. Les résultats finissent quand même par arriver, mais dans un contexte plus avantageux pour tout le monde», explique l'Allemand, philosophe.

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Nous avons ici un évident piège que devra tenter d'éviter David Reinbacher, à son arrivée à Montréal.

En 2023, ère où plusieurs associent la qualité d'un défenseur au total de points qu'il affiche, le jeune espoir du CH devra se rappeler d'y aller une bouchée à la fois, même si, comme l'a bien résumé Seider, l'envie d'épater sera forte.

Cinq défis non négligeables 

Il est intéressant d'écouter Seider et Jiricek. Tous les deux s'expriment sans filtre et avec une belle candeur. Questionnés sur les principaux défis d'un début de carrière dans la LNH, les deux arrières en citent cinq.

«D’abord, la vitesse du jeu, lance Seider. Honnêtement, rien n’est comparable entre les autres ligues et la LNH. C’est beaucoup, beaucoup plus rapide ici. La LNH, c’est comme la Ligue des Champions au soccer. Il n’y a aucun niveau qui s’en approche.»

Le défenseur des Wings prend alors une pause, puis enchaîne. 

«Les voyages sont aussi un élément que plusieurs recrues sous-estiment. Dans la LNH, tu es constamment en déplacement, tu rentres tard et tu dois parfois affronter des gars qui sont reposés et frais. Je t’avoue que c’est quelque chose que je n’avais pas vraiment envisagé. 

«Ensuite, les gens doivent considérer l’aspect humain. Tu rencontres de nouvelles personnes et elles ont toutes des personnalités différentes. Tu veux faire ta place dans le vestiaire. Tu souhaites te créer une nouvelle routine dans une ville que tu ne connais pas.

«Tu affrontes également de nouvelles équipes chaque soir et tu dois te frotter à des vedettes que tu regardes depuis ton tout jeune âge. C’est cool, mais ça demande beaucoup. À toutes les premières fois, tu dois étudier les tendances des autres et t’ajuster. Ce n’est pas évident.»

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David Jiricek, lui, aborde une réalité souvent mentionnée par les joueurs européens. 

«La grosseur des patinoires est vraiment un aspect à prendre en compte, insiste le sympathique patineur. Avant ma saison dans la LAH, je n'avais à peu près jamais joué sur de petites glaces comme celles-ci. Ton temps de réaction est vraiment, vraiment plus court.»

L'excellente réputation de David Reinbacher 

À Kloten, en Suisse, David Reinbacher connaît une saison plutôt moyenne, jusqu'ici. 

Blessé en début de saison, l'arrière compte à l'heure actuelle 19 matchs. Il affiche un rendement d'un but et de six mentions d'aide, un différentiel de -2 et joue en moyenne 18:19 par soir. En termes de temps d'utilisation, il arrive quatrième chez les défenseurs de son équipe. Pourtant reconnu pour sa fiabilité, le jeune homme s'est rendu coupable de quelques revirement coûteux, lors de ses premiers duels. 

Son jeu d'ensemble est plus convaicant depuis quelques matchs, mais il est tout à fait légitime de s'attendre à davantage de la part d'un cinquième choix au total. 

Cela dit, le HC Kloten, club où évolue l'espoir des Canadiens, est horrible. Il est certain que cette réalité doit être prise en compte dans l'équation. 

Pendant ce temps, Zach Benson occupe un important rôle à Buffalo chez les Sabres, Matvei Michkov survole la KHL et Ryan Leonard et Cutter Gauthier jouent avec panache, tant dans la NCAA qu'au Championnat du monde junior. 

N'empêche, la réputation de Reinbacher, du moins aux yeux de Seider et Jiricek, demeure excellente. 

«Je l’ai affronté au Championnat du monde junior, rappelle Jiricek. Nous avons un peu le même style. Honnêtement, il est excellent. Très complet.»

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Seider n'est pas moins élogieux, citant même le nom d'un autre espoir bien connu du Tricolore au passage.

«Je n’ai jamais joué contre lui, mais je l’ai regardé sur vidéo, notamment en marge du dernier repêchage. Il est impressionnant! Je pense sincèrement que les partisans des Canadiens peuvent être excités par leur futur à la ligne bleue. Reinbacher et Lane Hutson, ensemble, seront selon moi très plaisants à regarder.» 

MARTIN ALARIE / JOURNAL DE MONTREAL
MARTIN ALARIE / JOURNAL DE MONTREAL

On le disait plus haut: les partisans du CH en attendent beaucoup du défenseur autrichien. 

Inévitablement, Seider se voit un peu en lui : deux arrières européens repêchés tôt, en qui l’équipe derrière la sélection fonde beaucoup d’espoirs.

«C'est peut-être cliché, mais garde les choses simples, lance Seider en guise de conseil à Reinbacher. Tu seras nerveux, tu seras même secoué lorsque la rondelle tombera sur la glace pour la première fois. Mais tout ça est normal. Il serait étrange de ne rien ressentir, après tout! Fais juste te rappeler pourquoi tu es là.»

Seider, visiblement très inspiré, termine sur cette note.

«Quand tu as ta chance, tu dois trouver un moyen d’écrire ta propre histoire.»

Et celle de Reinbacher sera-t-elle un best-seller, un citron ou un récit «dans la moyenne»?

La réponse ne sera disponible que dans plusieurs années. 

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