Blagues douteuses: le juge qui est bien le seul à se trouver drôle
Les enregistrements d’un juge qui se retrouve devant le Conseil de la magistrature sont plutôt surprenants

Jules Richer
Un juge de la Cour supérieure du Québec fait face à une série de plaintes déposées contre lui en raison de son comportement inapproprié dans plusieurs procès où il a fait des blagues douteuses et des commentaires déplacés.
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Notre Bureau d’enquête a pu obtenir les transcriptions des causes au cours desquelles le juge Gérard Dugré a commis des écarts de langage et de conduite. Nous en avons tiré les extraits les plus marquants que nous vous présentons ici.
Depuis le printemps dernier, un comité d’enquête du Conseil canadien de la magistrature se penche sur sept dossiers disciplinaires ouverts contre lui.

Outre des commentaires déplacés, on lui reproche de façon générale de conduire ses procès en créant une « atmosphère désordonnée » au tribunal, ce que montrent aussi les extraits présentés ici.
On lui impute également des retards importants à rendre ses jugements.
Le magistrat a cessé de siéger en attendant les décisions à son sujet. Les frais judiciaires pour assurer sa défense devant le Conseil de la magistrature et son salaire annuel de plus de 300 000 $ sont entièrement assumés par les contribuables.
S’il est reconnu fautif, il pourrait écoper d’une réprimande. Aucune sanction ne peut être imposée à un juge au Canada, à part la destitution dans des cas très graves.
- Écoutez la chronique judiciaire de l’ex-juge Nicole Gibeault à QUB radio
Au cachot avec les rats
En colère, le magistrat s’adresse à un témoin dans une cause de droit familial.
« C’est très grave, là, très, très grave. Vous pourriez être en outrage au tribunal. [...] Ça, ça veut dire qu’on pourrait vous envoyer réfléchir quelques instants dans une cellule, en bas [au palais de justice].
On en a deux sortes : une pour les dames, où il y a des petites souris qu’on ne nourrit pas. Puis il y a les hommes, où il y a des rats, puis on ne les nourrit pas, ils sont affamés. Fait que quand vous allez être dans la cellule...
Fait que là, je pourrais peut-être aller vous faire réfléchir un peu, en bas, en cellule... »
(Sa menace ne sera pas mise à exécution.)
- Écoutez la chronique de Félix Séguin au micro de Richard Martineau sur QUB radio :
Un intermède musical
Un matin, le juge Dugré décide de pousser la chansonnette en cour, parce qu’il est inspiré par le prénom d’une intervenante dans un dossier, une dénommée Marianne.
« Et là, ce matin, en m’en venant [au travail], j’ai quelques chansons sur mon chose, une que j’aime beaucoup, parce que je trouve ça, c’est, elle s’appelle Marianne*, de Michel Delpech [il se met à chanter en plein tribunal].
“Ah ! Que Marianne, elle était jolie quand elle se promenait dans les rues de Paris.”
Alors, Marianne, c’est la marraine de la France, quand la République a été créée, en 1780, puis c’est une chanson que j’aime beaucoup. Alors, ce matin, j’ai une Marianne, devant moi [au tribunal]. Puis [avant, j’avais] écouté sa chanson. »
* Le titre exact de la pièce est Que Marianne était jolie
La question qui tue
Dans une cause de droit familial, alors que quelqu’un vient d’entendre un témoignage difficile sur des enfants, une des parties veut poser une dernière question.
Intervenant
Une dernière question, monsieur le juge.
Juge Dugré
Ah ! La dernière question.
Intervenant
C’est vraiment la dernière.
Juge Dugré
Mais rappelez-vous, vous n’écoutez pas Tout le monde en parle, vous ? [...] Quand les projecteurs commencent à tourner. [...] Et puis, là, ça s’appelle la question qui tue.
Intervenant
Voilà. Et...
Sa définition de l’alcoolisme
Dans un procès au civil où il est question du comportement d’une personne sous l’effet de l’alcool, le juge Dugré y va de sa définition bien personnelle de l’alcoolisme.
« Parce qu’il y en a beaucoup qui prennent deux bouteilles de vin par jour, une le midi, une le soir, et sont parfaitement... ils ne sont pas alcooliques du tout, parce qu’ils aiment le vin [...]. Le dîner dure trois heures, puis le souper dure trois ou quatre heures. [...] Bon, ils ont pris deux bouteilles de vin.
Mais le gars qui prend un verre de vin et devient totalement colérique [...], lui, il faut qu’il fasse attention, il ne peut pas toucher à ça. Il n’a pas le droit, parce qu’il vient totalement fou. Donc, c’est ça l’alcoolisme. »
Les sarcasmes du juge
Dans une cause de droit familial, le juge Dugré est exaspéré par une dispute au sujet du choix d’une école pour un enfant. Devant les avocats, il manifeste son impatience par une série de remarques sarcastiques et déplacées envers les parents.
- « On pourrait le mettre [l’enfant] au pensionnat, puis on va régler le problème. [Les parents] le verront au 24 juin et on va lui laisser la paix. On va dire : reste donc au pensionnat, amuse-toi avec tes amis, puis papa et maman tu les verras le 24 juin. »
- « Donnons-le en adoption, ça, c’est l’autre solution que je peux tenir. Je donne l’enfant en adoption. [...] Si les parents ne sont pas capables de s’en occuper, ça, c’est l’autre [solution]. »
- « Mais la solution magique, je l’ai toujours. Ma solution magique, c’est que j’ordon-ne aux parties de revenir ensemble puis d’élever [l’enfant] jusqu’à tant qu’il ait 18 ans. Mais malheureusement, ce n’est pas une solution [...] qui est retenue par les parties. Moi, je la trouve fantastique. »
- « Quand on se sépare, il y a des problèmes. »
Deux et deux font ?
Le juge Dugré pose de « drôles » de questions à une experte-comptable alors qu’elle s’apprête à livrer un témoignage.
Juge Dugré
Maintenant, juste pour vérifier vos compétences, deux et deux, ça fait combien ?
Experte
Quatre.
Juge Dugré
Mais un bon comptable va répondre quoi ?
Experte
Il va répondre quatre.
Juge Dugré
Non, il va répondre : combien vous voulez que ça fasse ?
Experte
Non.
Juge Dugré
Mais ce n’est pas comme ça qu’ils ont fait les états financiers dans Castor Holdings ?* Bon, c’est des farces qu’on fait pour les fins de la transcription.
Experte
Oui, oui, c’est ça.
*Cause célèbre qui s’est rendue jusqu’en Cour suprême du Canada où les négligences d’une firme comptable ont été mises en lumière.
Une avocate perplexe
Alors qu’une cause débute, le juge Dugré fait une blague de but en blanc avec le nom de famille d’une des avocates, qui s’appelle Miele, comme la marque allemande d’électroménagers. La blague désarçonne manifestement l’autre avocate au dossier.
Juge Dugré
Maintenant, pensez-vous qu’on peut avoir des réductions sur les électros ?
L’autre avocate
Sur les...?
Juge Dugré
Sur les électros, les électroménagers ?
L’autre avocate
Les électroménagers ?
L’avocate qui se nomme Miele
... Miele.
[...]
Juge Dugré
Vous n’avez pas pensé à ça du tout pendant que vous...
L’autre avocate
Non.
Juge Dugré
... attendiez ? Écoute, on va se négocier un petit rabais sur les électros.