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L'article provient de Le Journal de Québec
Sports

Désabusé du hockey mineur québécois, ce père et ex-joueur du CH se vide le cœur

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Photo portrait de Alexandre Picard

Alexandre Picard

2024-05-16T04:00:00Z
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Note de la rédaction : M. Picard est un ex-défenseur du Canadien qui a joué 253 matchs dans la LNH, en plus d’avoir joué professionnellement en Russie, en Suisse et en Allemagne. Analyste à TVA Sports, il est depuis quelque temps répugné par ce qu’il voit dans notre hockey mineur québécois. Il a découvert ses côtés les plus laids en suivant son fils dans les arénas.


J’ai pris ma retraite du hockey professionnel en 2019. J’ai passé les sept dernières années de ma carrière en Europe. Mon fils a commencé le hockey en Suisse et en Allemagne, après quoi nous sommes revenus au Québec. À la lumière de ce que j’ai vu en Europe, le hockey mineur québécois me déçoit profondément. En fait, je crois que le hockey d’élite dans la province est presque incurable.

Depuis mon retour au Québec, voici les horreurs que j’ai vues :

  • Un père qui agrippe son enfant de neuf ans par la grille et lui secoue la tête, parce qu’il ne joue pas selon ses attentes.
  • Un entraîneur qui crie à tue-tête pendant plusieurs secondes après un joueur à l’entraînement, devant tout le monde.
  • Des situations où la rotation des gardiens est jetée aux oubliettes.
  • Des parents qui compilent les statistiques de leurs fils pour augmenter leur valeur aux yeux des autres.
  • Des parents intoxiqués s’en prenant verbalement aux jeunes sur la glace.
  • Des jeunes qui réchauffent le banc pendant que d’autres jouent à profusion.
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C’est inacceptable

Ces comportements ne sont pas acceptables dans le hockey mineur.

À travers les expériences de mon fils, je note une différence fondamentale entre l’Europe et le Québec: la mentalité.

  • Écoutez la chronique culture et société avec Jean-François Baril et Sophie Durocher via QUB :

En Europe, l’accent est mis sur le plaisir et le développement. Moins de matchs, plus de pratiques multisports.

Au Québec, on accorde une grande importance à la performance et aux résultats, parfois au détriment du développement.

Cette approche, cette quête de victoire à tout prix, a de quoi faire sourciller.

Et ça se répercute dans la gestion du temps de jeu.

En Europe, les joueurs bénéficient d’un temps de glace équitable, quel que soit leur niveau d’habileté.

Au Québec, les entraîneurs se concentrent souvent sur les joueurs les plus avancés, surtout dans l’élite.

L’élite, c’est la LNH

Mais, dites-moi, comment définir l’élite à 11 ans?

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Pour moi, l’élite est la LNH, le plus haut niveau de hockey au monde. Tout ce qui se situe en dessous fait partie des phases de développement.

Photo d'archives, Agence QMI
Photo d'archives, Agence QMI

Cette saison, en tant qu’entraîneur adjoint, je supervisais les défenseurs dans l’équipe de mon fils. Un autre adjoint s’occupait des attaquants et l’entraîneur-chef prenait les décisions finales.

Très tôt en saison, lors de moments cruciaux, j’ai constaté une inégalité dans le temps de jeu des attaquants. Cette situation s’est aggravée lors des tournois et durant les séries. La goutte qui a fait déborder le vase est survenue lors de la Coupe Chevrolet, le championnat provincial de fin de saison.

En quarts, face à une formation puissante, notre équipe tirait de l’arrière 3 à 1 après deux périodes. Nous avons effectué une remontée, créant l’égalité dans les dernières secondes du temps réglementaire.

Remontée historique, mais...

Pas de maître après cinq minutes de prolongation. Nous l’avons emporté en tirs de barrage pour nous diriger en demi-finale.

Une remontée historique pour nos jeunes joueurs? Peut-être... si elle n’avait pas été acquise au détriment de leur développement.

Malheureusement, certains d’entre eux ont écopé. Je ne pensais jamais devoir me rendre là, mais j’ai tiré profit du fait que les matchs sont filmés et diffusés sur Facebook pour exposer, dans cette chronique, la distribution inégale du temps de jeu octroyé aux 15 patineurs.

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Le résultat pour chaque joueur en troisième période et prolongation se trouve dans le tableau ci-haut. Quatre joueurs n’ont pas touché à la glace au-delà du temps réglementaire.

Pour le bien de l’exercice, les joueurs seront identifiés des lettres A à O.

Calcul de temps de jeu
Total de 20 minutes
JOUEUR 3e PÉRIODE (15 MINUTES) PROLONGATION (5 MINUTES) TOTAL
A 08:29 02:33 11:02
B 07:49 03:00 10:49
C 07:42 02:10 09:52
D 07:22 02:28 09:50
E 05:10 02:33 07:43
F 05:11 02:20 07:31
G 05:35 01:02 06:37
H 05:15 01:20 06:35
I 05:01 01:16 06:17
J 04:44 00:22 05:06
K 03:26 01:05 04:31
L 02:47 Aucune présence 02:47
M 02:40 Aucune présence 02:40
N 01:23 Aucune présence 01:23
O 01:17 Aucune présence 01:17

Gestion du banc point 8, page 82

Chaque fois que j’ai déploré ces gestes, on prétextait que ça fonctionnait de cette façon dans le hockey d’élite. Pourtant, ce n’est clairement pas ce que stipule le guide des entraîneurs. En voici un extrait:

«La gestion de banc devient rapidement excitante pour un entraîneur. Il ne faut cependant pas oublier que chaque joueur mérite de jouer autant que les autres. Comme entraîneur, c’est dans cet aspect du sport que vous prendrez le plus de décisions. Il faut donc s’assurer d’être bien préparé pour que les joueurs vivent une belle expérience match après match.

«La victoire est très stimulante, est-il aussi écrit, mais, comme entraîneur, c’est le processus qui compte. Aucun joueur ne devrait voir son temps de jeu diminuer en fin de match parce qu’il n’a pas les mêmes habiletés qu’un autre.

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«Afin de progresser, ce joueur doit connaître et vivre des situations de matchs plus stressantes. Qui sait, c’est peut-être lui qui marquera un but déterminant en fin de saison.»

Mon fils fait partie de ces joueurs moins utilisés. Il se trouve quelque part dans les dernières cases de mon tableau.

La victoire a été privilégiée

Je n’écris pas cette chronique seulement comme un père préoccupé.

Je l’écris aussi, et surtout, en tant qu’intervenant qui s’inquiète de la direction que prend notre hockey mineur. Mon fils n’est pas le seul à vivre cette situation, loin de là.

Ce n’était pas la première fois que plusieurs joueurs étaient mis de côté, non pas pour manque de respect ou d’efforts, mais parce que les entraîneurs estimaient qu’ils n’aidaient pas à un retour dans le match.

Il est important de garder en tête qu’il s’agit de jeunes de 11-12 ans. La victoire a été privilégiée au détriment de la confiance et du développement.

J’ai dû une fois de plus consoler mon fils, qui s’interrogeait. La confiance des jeunes dans cette situation est affectée sur la glace et au quotidien.

Lors du visionnement, j’ai observé une situation problématique dans le hockey mineur élite. Un jeune est resté sur la glace pendant 1 min 40 s, dépassant largement la limite de 45 secondes recommandée par Hockey Québec et nos normes internes.

Après 1 min 40 s, on entend un sifflet et le jeune se dirige vers le banc pour changer. L’entraîneur regarde les options disponibles et, aussitôt, il décide de garder le jeune en question sur la glace pour 29 s de plus, portant sa présence à 2 min 09 s.

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Deux poids, deux mesures

On ne peut pas blâmer le jeune dans cette situation, car tout enfant veut faire la différence.

Le problème, c’est qu’un adulte endosse cette situation. Un adulte qui a auparavant sanctionné des joueurs pour des présences jugées trop longues en saison régulière. Il semble y avoir deux poids, deux mesures pour gagner.

Je déplore le temps de jeu inégal, mais aussi, que des joueurs soient privés de l’opportunité de participer à des moments clés d’une partie et donc, de grandir comme personnes et comme athlètes.

La chance de jouer dans des situations de pression forge le caractère.

J’ai couvert la série entre les Capitals et les Rangers. Le jeune entraîneur de Washington, Spencer Carbery, a valorisé l’apport de ses jeunes, notamment Hendrix Lapierre, qui a joué en moyenne 13 min 11 s. Il a récolté deux points, dont un magnifique but.

L’expérience acquise dans ces séries le mettra en confiance pour la prochaine saison. Et si la confiance est primordiale pour un adulte dans la LNH, imaginez pour un jeune.

Loin d’être un incident isolé

J’aimerais vous dire que la situation que je déplore est un incident isolé.

Si seulement. Parmi les 12 équipes du M13 AAA à la Coupe Chevrolet, j’ai constaté que 11 ne distribuaient pas équitablement le temps de jeu. Ce constat est partagé par de nombreux parents et entraîneurs.

Voici un témoignage d’un entraîneur de niveau M11 AA (9-10 ans) :

«Notre équipe jouait une finale quatre de sept visant à déterminer le représentant régional à la Coupe Chevrolet. À mon arrivée à l’aréna, l’entraîneur adverse m’a demandé d’être juste dans l’utilisation de mes gardiens, faisant valoir que mon deuxième gardien affilié était supérieur à son gardien substitut.»

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«Dès le premier duel, j’ai remarqué que ses défenseurs no 1 et no 2 ont joué plus de 25 minutes sur les 36 de la rencontre.»

Devenu la norme

«La série s’est poursuivie avec des événements similaires. Après le quatrième match, nous n’avons plus jamais revu le deuxième gardien de l’autre équipe. Il avait quitté l’équipe, car on lui avait fait savoir qu’il ne retournerait plus devant le filet, comme les prochains duels étaient sans lendemain. Il n’a pas non plus accompagné l’équipe à la Coupe Chevrolet.»

Je me suis souvent demandé pourquoi il faut accepter que certains soient laissés de côté dès un jeune âge.

Cette pratique est devenue la norme.

Il faut l’accepter et vivre avec, nous dit-on. Ceux qui la dénoncent se font souvent fusiller du regard et plusieurs n’osent pas s’indigner par crainte de représailles envers leur jeune.

Pourquoi les structures intégrées du hockey d’élite ont-elles autant de pouvoir? Est-ce que quelqu’un veille à ce que les jeunes dans ces organisations ne soient pas dirigés comme des entreprises ?

Pourquoi Hockey Québec n’a-t-il pas son mot à dire dans le quotidien de ces organisations qui s’occupent de l’élite?

0,03% atteignent la LNH

Selon moi, c’est l’une des raisons pour lesquelles le hockey scolaire gagne en popularité.

Étant rattachés à un établissement scolaire, les entraîneurs n’ont pas le choix de véhiculer les valeurs de la direction. Les règles sont strictes, il ne semble pas y avoir de zones grises.

Ce que ces programmes semblent avoir compris, c’est que le développement du jeune est aussi important que celui de l’athlète. Après tout, la probabilité d’atteindre la LNH est de 0,03%.

Je m’adresse aux parents. Peu importe le sport, l’âge ou la catégorie, levez-vous.

Dénoncez ce genre d’injustices qui entravent le développement de nos jeunes.

Placez l’enfant au cœur du débat et cessez de croire que tout cela est acceptable.

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