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L'article provient de TVA Sports
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Le hockey allemand: une refonte du programme qui a tout changé

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Photo portrait de Jonathan Bernier

Jonathan Bernier

2021-02-20T14:10:50Z
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En 2014, le hockey allemand traverse une crise. Le niveau est à son plus bas. Non seulement l’équipe nationale est-elle incapable de qualifier le pays pour les Jeux olympiques de Sotchi, mais la nation chute au 13e rang du classement international. Un recul inacceptable pour ce pays parvenu à se hisser au 8e rang en 2011.

On décide alors de faire table rase. À l’élection suivante, Franz Reindl devient le président de la Fédération allemande de hockey sur glace. Prolifique attaquant à l’époque de l’Allemagne de l’Ouest, l’homme alors âgé de 61 ans procède à une refonte complète de la structure du hockey allemand.  

Avec son comité, il met sur pied le programme PowerPlay 26, baptisé ainsi en raison de l’objectif à long terme du programme : être compétitif sur la scène internationale et avoir de réels espoirs de médailles aux Jeux olympiques de 2026.

Toutefois, pour espérer atteindre cet objectif, il faut que la base de la pyramide soit forte. C’est pourquoi on déploie également un objectif à court terme : promouvoir le hockey chez les jeunes enfants et améliorer l’efficacité du développement.

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«Les équipes professionnelles ont embarqué dans le projet. En travaillant main dans la main avec la DEL, ça a accéléré le processus, a indiqué M. Reindl dans une généreuse entrevue accordée au Journal de Montréal. Il y a maintenant quatre centres d’excellence pour le hockey en Allemagne. L’objectif, c’est que toutes les équipes professionnelles en aient au moins un.

«On compte officiellement un peu plus de 21 000 joueurs, mais il y en a encore plus si on compte ceux qui ne jouent pas dans le hockey organisé. Depuis 2015, on voit une augmentation d’environ 12 % à 15 % des inscriptions chez les jeunes de moins de 12 ans. Tant chez les garçons que chez les filles. Ça va très bien», a-t-il ajouté.

Étoiles payantes  

En parallèle, on ébauche un système de récompenses : le programme des cinq étoiles. Pour obtenir chacune des étoiles, les associations doivent répondre à plusieurs critères précis. Plus l’association répond aux standards, plus elle récolte de points. Pour chaque catégorie, lorsqu’elle atteint un certain seuil (80 %), elle obtient une étoile. Plus une association affiche d’étoiles dans son cahier, plus elle obtient de subventions de la part de la fédération.

«Ça fonctionne à merveille. Au départ, seulement quatre associations avaient les cinq étoiles. Maintenant, je crois que nous sommes rendus à 12», s’est réjoui M. Reindl, précisant que le pays compte près d’une soixantaine d’associations dans son programme de développement.

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La quantité de joueurs, les programmes de recrutement, la qualité des entraîneurs et le temps passé sur la glace par les joueurs constituent les critères à remplir pour obtenir les quatre premières étoiles.

Ce n’est qu’une fois que les quatre premières étoiles sont acquises qu’il est possible de mettre la main sur la cinquième : obtenir une autre surface de jeu.

«C’est fantastique. Les équipes vont à la Ville et au gouvernement pour demander une deuxième glace. Il fut un temps où on fermait des patinoires, maintenant la tendance est renversée», a déclaré M. Reindl.

Et quel est le ratio entre les heures d’entraînements et les heures de matchs?

«Je sais qu’au Canada, l’écart est bien moindre. Mais, chez nous, au niveau junior, on parle de 70% d’entraînement et de 30% de matchs. Les joueurs disputent deux matchs par semaine et s’entraînent tous les autres jours, deux fois par jour (incluant le hors glace), a expliqué M. Reindl. C’est notre ratio le plus serré. La différence est encore plus marquée dans les niveaux inférieurs.»

Déjà des résultats  

Si on se fie aux dernières séances de sélection, l’Allemagne semble être sur le bon chemin. Il y a quelques mois, Tim Stützle (3e), Lukas Reichel (17e) et John-Jason Peterka (34e) ont été sélectionnés parmi les 34 premiers au repêchage de la LNH. Moritz Seider (6e, en 2019) et Dominik Bokk (25, en 2018) ont été des choix de premiers tours.

«Ce sont des jeunes qui avaient 11-12 et 13 ans en 2015. Ils étaient déjà là lorsqu’on a instauré le programme. Ça signifie que ça fonctionne. Par conséquent, nous sommes heureux de voir certains talents émerger, mais nous sommes également excités, car on sait qu’il y en a encore plus qui s’en viennent.»

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Franz Reindl raconte que beaucoup de mentorat est fait auprès des entraîneurs des structures mineures pour s’assurer qu’un enseignement de qualité est offert aux jeunes hockeyeurs allemands. La fédération compte une dizaine d’entraîneurs qu’elle a attitrés à cinq associations. Chaque semaine, ils se promènent d’une association à l’autre pour analyser l’enseignement et l’évolution des hockeyeurs.

«Pour moi, c’était la clé, a soutenu l’homme de hockey. Ça fait grandir le développement beaucoup plus vite parce que la structure est bien meilleure.»

Les entraîneurs de la fédération en profitent également pour dénicher les meilleurs talents.

«Autrefois, on attendait que les bons joueurs viennent à nous, on attendait de les découvrir. Maintenant, on va à leur recherche en se promenant d’une équipe à l’autre», a-t-il indiqué.

Maxim Lapierre a été surpris par le calibre du hockey en Allemagne  

La National League, en Suisse, sert souvent de baromètre lorsque vient le temps de comparer le calibre du hockey européen à celui de la LNH et de la Ligue américaine. Ce n’est pas un hasard si on y retrouve plusieurs anciens joueurs du circuit Bettman.

Maxim Lapierre y a évolué pendant quatre saisons, à Lugano, avant d’immigrer à Berlin pour disputer une campagne avec les Ours polaires. Retraité depuis l’automne, le Québécois avoue avoir été surpris par le calibre de jeu de la DEL.

«Les grosses équipes d’Allemagne comme Munich, Mannheim et Berlin se comparent aux bonnes équipes de la Suisse. D’ailleurs, quand j’étais à Lugano, on avait joué quelques matchs préparatoires contre Mannheim. On avait perdu un match 2 à 1 et gagné l’autre 3 à 2», s’est-il souvenu lorsque joint par Le Journal.

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«Pour les équipes de fond de classement, ça dépend des saisons, des budgets des organisations. Mais si tu organisais un tournoi impliquant les quatre meilleures équipes de la Suisse et les quatre meilleures de l’Allemagne, ce serait très serré», a-t-il ajouté.

Futurs choix  

Lapierre a également pu remarquer que, sur le plan des habiletés individuelles, les jeunes Allemands ont pris du galon. Il s’attend à ce que l’invasion allemande initiée par Leon Draisaitl, depuis quelques années, s’accentue dans la LNH.

«Il y a beaucoup de jeunes qui patinent bien et qui jouent bien. Dans chaque équipe, il y en a un. Je ne sais pas si ce seront des choix de première ronde comme cette année, mais tu vois qu’ils seront assurément repêchés un jour», a soutenu l’ancien attaquant du Canadien.

Lapierre a eu la chance d’en voir un à l’œuvre de près la saison dernière. À Berlin, Lukas Reichel évoluait au sein de la même unité que lui. Évidemment, il a été à même de constater toute l’étendue du talent du choix de premier tour des Blackhawks en 2020. Un talent inné, certes, mais qui n’aurait peut-être pas connu une évolution aussi rapide sans la nouvelle structure allemande.

«Les Allemands sont bons avec les jeunes. Ils les connaissent depuis longtemps. Ils les voient grandir dans le système. Quand le jeune arrive officiellement dans le vestiaire, les liens sont déjà créés», a raconté Lapierre.

Trop longtemps boudé  

Et le fait d’amener les prodiges comme Reichel rapidement dans le circuit professionnel lui permet d’accentuer le volet apprentissage.

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«Être entouré de vétérans, c’est bénéfique. L’an passé, on avait neuf ou dix gars de l’Amérique du Nord qui avaient joué au moins un match dans la LNH. Tous ces gars-là ont pu lui donner des conseils.»

Comme l’expliquait Stéphane Richer, l’émergence des jeunes prodiges allemands amène de l’attention sur un circuit qui a longtemps été boudé par les dépisteurs. Avec la conséquence, selon Lapierre, que les équipes de la LNH se sont privées de bons effectifs.

«Il y a des gars de 25-26 ans qui sont probablement passés sous le radar, il y a quelques années, parce que la Ligue allemande était moins en vogue, croit Lapierre. Ce sont de bons joueurs qui, s’ils obtenaient un essai dans la LNH, seraient assurément capables de percer une formation.»

Le hockey allemand: (l'autre) Stéphane Richer témoin de l’évolution 

S’il y en a un qui est à même de constater l’évolution du hockey allemand, c’est Stéphane Richer. Pas l’attaquant de Buckingham qui a disputé plus de 1000 matchs dans la LNH. Non. On parle plutôt du défenseur de Hull qui s’est exilé en Allemagne à l’automne de 1995.

D’abord joueur pour les Aigles de Mannheim, Richer, qui a disputé 27 matchs dans le circuit Bettman avec le Lightning, les Bruins et les Panthers a, à compter de 2003, occupé les postes d’entraîneur adjoint, d’entraîneur-chef et de directeur des sports (l’équivalent de directeur général) de différentes formations de la DEL, la Deutsche Eishockey Liga, le meilleur circuit allemand.

Depuis la campagne 2017-2018, Richer tient justement le rôle de directeur des sports avec les Ours polaires de Berlin. Il baigne donc dans l’environnement du hockey allemand depuis un quart de siècle.

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«Les jeunes Allemands ont de plus en plus de talent. Quand j’ai commencé, il y avait quelques exceptionnels. Jochen Hecht jouait avec moi à Mannheim. Il avait 17 ans. Marco Sturm était également dans la ligue, s’est rappelé Richer lorsque joint par l’auteur de ces lignes. On voyait un ou deux joueurs percer à chaque cinq ans. Depuis quelques années, on en voit tous les ans.»

Il faut dire que depuis 2015, la Fédération allemande de hockey sur glace a mis beaucoup d’emphase sur le développement des jeunes hockeyeurs. Elle a réalisé un tour de force en obligeant les équipes de la DEL à intégrer sa structure.

De très jeunes recrues 

Toutefois, à Berlin, il y a un bail qu’on fait la promotion du hockey auprès des enfants de la région.

«Pour nous, les Eisbären (les Ours polaires), le hockey mineur a toujours été important. On a une académie à Berlin, directement sur le campus de l’école. C’est comme un sport-études. Les jeunes vont à l’école et jouent au hockey, a expliqué l’homme de hockey de 54 ans. Au sein de notre équipe, on a maintenant des jeunes qui ont commencé dans le programme à 6-7 ans.

«C’est le genre de chose que l’on voit en Europe. Au Canada, tu joues ton hockey mineur, tu vas junior majeur ou du côté universitaire, puis dans le pro. Ici, tu as des jeunes du hockey mineur qui demeurent dans ton organisation tout le temps», a-t-il poursuivi.

Un modèle un peu copié sur celui du soccer, où la grande majorité des clubs – pour ne pas dire la totalité – possède son académie au sein de laquelle se développent ses joueurs de la prochaine génération.

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Toutefois, pas question d’être lié à l’équipe mère à la vie, à la mort. Richer précise qu’un jeune appartient à l’équipe qui le développe jusqu’au niveau junior. À ce moment, pour garder les droits sur lui, elle doit lui faire signer un contrat.

L’exemple de Lukas Reichel 

L’avantage de cette façon de faire, c’est que les meilleurs joueurs de l’équipe junior peuvent s’entraîner avec le grand club. Ce fut le cas de Lukas Reichel, que les Ours polaires ont recruté à Rosenheim à l’âge de 16 ans.

Choix de premier tour (17e au total) des Blackhawks de Chicago lors du dernier repêchage, Reichel a pu profiter de ce système pour gravir les échelons à une vitesse fulgurante.

«On est allé le chercher en Bavière parce qu’ils n’ont pas d’équipe dans la DEL. La première année, même s’il était chez les juniors, il pratiquait avec nous tous les jours. L’année suivante (à 17 ans), il a fait le saut avec nous, a décrit Richer. Notre ligue, c’est un peu comme la Ligue américaine. Veux, veux pas, quand tu as 17 ans et que tu joues contre des hommes, tu t’améliores rapidement.»

Une vitrine qui profite à tous

Reichel à Berlin, Tim Stützle à Mannheim, John-Jason Peterka à Munich. Les trois derniers joyaux allemands ont en commun d’avoir évolué dans la DEL à l’âge de 17 ans. Leur talent exceptionnel ne laissait aucun choix à leur équipe.

D’autres jeunes Allemands brillent également dans ce circuit. Dans sa réforme de 2015, la fédération allemande a obligé toutes les équipes de la DEL à utiliser, à chacun de ses matchs, au moins trois patineurs de moins de 23 ans ayant grandi dans le système allemand.

«C’est un règlement qui permet de développer nos jeunes. Avant, ils partaient jouer dans le junior majeur au Canada. Ça a été le cas pour Leon Draisaitl, a rappelé Richer. Maintenant, ils choisissent de rester en Allemagne pour jouer dans la DEL.»

La réglementation n’est pas seulement à l’avantage des jeunes hockeyeurs.

«L’an dernier, on a tellement vu de dépisteurs à nos matchs. Ça a mis le hockey allemand sur la carte. Ils ont constaté que le hockey est vraiment bon en Allemagne», s’est réjoui Richer.

Par conséquent, il peut y avoir encore de l’espoir pour les Allemands un peu plus âgés ou pour les anciens joueurs de la LNH qui rêvent d’y retourner.

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