Le Hells Angels André Sauvageau, qu'on croyait mort de causes naturelles, aurait été empoisonné au fentanyl
Le décès du motard en 2019 était une commande de meurtre, selon les déclarations d’un tueur à gages aux policiers
Eric Thibault, Maxime Deland et Félix Séguin
On le croyait mort de causes naturelles. Mais André «Frisé» Sauvageau, un vétéran membre des Hells Angels, aurait été assassiné en avalant du fentanyl à son insu en prison, en 2019. Le meurtre aurait été commandé par le caïd Gregory Woolley et offert en «cadeau» au chef déchu du gang de motards, Maurice «Mom» Boucher.
C’est l’une des révélations explosives faites aux policiers par le tueur à gages Frédérick Silva lors du projet Alliance, la plus grosse enquête criminelle en cours au pays, ont appris l’Agence QMI et notre Bureau d’enquête.
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Les secrets livrés par Silva au sujet de la mort de Sauvageau sont dignes d’un film d’espionnage.

Surtout, ses confidences forcent les autorités à revoir cette affaire dans un angle totalement différent, puisqu’un coroner avait conclu à une mort naturelle.
Et ce, malgré la concentration élevée de fentanyl prélevée dans le corps du motard lors de l’autopsie, qui fut pratiquée trois jours après le décès.
«Un cadeau de ma part»
Sauvageau, 59 ans, a été retrouvé sans vie dans son lit, dans sa cellule de la prison de Rivière-des-Prairies, le matin du 26 mai 2019. Les manœuvres de réanimation par les agents correctionnels et les ambulanciers se sont avérées vaines.
La présence d’un liquide noirâtre s’apparentant à du sang mélangé avec du liquide gastrique avait été décelée sur la bouche, les draps et l’oreiller de la victime, a précisé la coroner Julie-Kim Godin dans le rapport d’investigation qu’elle a signé le 27 janvier 2020.
Frédérick Silva a déclaré aux policiers que Sauvageau avait été assassiné avec la complicité d’un autre détenu et que son meurtre serait une commande du défunt chef de gang Gregory Woolley, qui était lui-même le meilleur client de Silva.

«Tu diras à Mom que c’est un cadeau de ma part», aurait par la suite demandé Woolley à Silva, alors que ce dernier allait être transféré au pénitencier de Sainte-Anne-des-Plaines après sa condamnation pour meurtres, le chargeant d’apprendre la nouvelle à Maurice Boucher, selon nos sources.
L’ancien leader des Hells purgeait alors une peine d’incarcération à perpétuité dans l’unité à sécurité «supermaximum» de Sainte-Anne-des-Plaines pour avoir commandé les meurtres de deux agents correctionnels en 1997.
Woolley était resté loyal envers Boucher, qui l’avait recruté dans le milieu des gangs de rue pour qu’il fasse partie des Rockers de Montréal, le plus violent club-école des Hells à l’époque de la guerre des motards qui a fait plus de 160 morts au Québec à la fin des années 1990.
En 1998, Woolley était devenu le premier Noir à obtenir un statut officiel dans l’organisation des Hells Angels.

Haine viscérale
Après la condamnation de Boucher en 2002 et son expulsion de l’organisation des Hells Angels en 2014, Woolley et lui continuaient à communiquer en s’écrivant des lettres.
Dans le livre Le Parloir, notre Bureau d’enquête avait fait état de la haine viscérale que Boucher ressentait envers Sauvageau, un ex-membre des Rock Machine qui comptait parmi les ennemis de Mom pendant la guerre des motards.
«Frisé» a changé de camp après que les deux gangs eurent conclu une trêve, en décembre 2000.
Mom n’aurait guère aimé que Sauvageau ose partir en voyage dans le sud en compagnie de son ancienne maîtresse, Louise Mongeau, en février 2014.

Les policiers avaient enregistré une conversation animée entre Boucher et sa fille, Alexandra Mongeau, qui lui rendait visite au pénitencier, cet hiver-là, lors du projet d’enquête Magot, alors que l’ex-chef guerrier des Hells faisait l’objet d’une enquête pour complot de meurtre.
«T’sais c’est quoi le lien? Maman le dira pas là. Elle va te dire: “Ben non, ben non... On est juste des amis.” Mais t’en as-tu, un ami qui a emmené une femme en voyage comme ça, juste pour [...] manger des chips ensemble? Hein?» avait dit Boucher à sa fille sur un ton amer, après avoir laissé entendre que Sauvageau était un «hypocrite» et une «vidange».

Boucher a succombé à un cancer de la gorge pendant sa détention, en juillet 2022, tandis que Woolley a été tué par balles sous les yeux de sa conjointe et de leur bébé, près du CLSC de Saint-Jean-sur-Richelieu, le 17 novembre 2023.

Hémorragie digestive
Dans son rapport d’investigation, la coroner Julie-Kim Godin écrivait que Sauvageau était «probablement décédé d’une hémorragie digestive [...] dans le contexte d’une maladie cardiaque athérosclérotique sévère». Elle se basait sur l’avis du pathologiste qui a pratiqué l’autopsie, le 29 mai 2019.
Trois jours après le décès du motard, une concentration de 14 ng de fentanyl a été mesurée dans son organisme, selon les analyses toxicologiques effectuées au Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale de Montréal.
«M. Sauvageau n’avait pas de prescription pour du fentanyl mais, pourtant, cette substance a été retrouvée dans son sang. [...] Aucune autre substance [drogue usuelle ou abus d’alcool] n’a été décelée», mentionnait la coroner Godin, sans pour autant conclure à une surdose de cet opioïde jusqu’à 100 fois plus puissant que la morphine.
Selon le département américain du Homeland Security, une concentration supérieure à 3 ng de fentanyl peut suffire à causer un décès par surdose.
La coroner Godin précisait que la veille de sa mort, Sauvageau «présentait un état général diminué [...], semblait fatigué, avait peu d’appétit» en plus d’avoir écarté l’idée de voir un médecin.

65 complots élucidés?
Le jour des funérailles de Sauvageau, des centaines de personnes des Hells Angels et de leurs clubs supporteurs, du Québec et d’autres provinces canadiennes, sont venues lui rendre un dernier hommage à Montréal, le 20 juin 2019, en croyant que leur camarade avait succombé à un malaise cardiaque.
Comble d’ironie, quand la crise du fentanyl a commencé à faire des victimes à Montréal parmi des consommateurs de stupéfiants, les Hells Angels s’en sont eux-mêmes mêlés en ordonnant que des trafiquants fautifs se fassent donner des raclées pour qu’ils cessent de mélanger ce dangereux opioïde à des drogues comme l’héroïne et la cocaïne, avait rapporté Le Journal de Montréal en décembre 2017.
Silva, qui a été condamné pour trois assassinats et une tentative de meurtre, collabore depuis maintenant deux ans et demi avec la Sûreté du Québec et la police de Montréal.

Ses confessions pourraient permettre aux forces de l’ordre d’élucider pas moins de 65 meurtres et complots de meurtres au sein du crime organisé québécois depuis une vingtaine d’années.
Empoisonné au cyanure: le clan Rizzuto aurait commandé le meurtre du mafioso Giuseppe De Vito
Le seul autre meurtre par empoisonnement en milieu carcéral dans l’histoire contemporaine au Québec aurait été commandité par le clan Rizzuto.
Le tueur à gages Frédérick Silva a confirmé cette hypothèse aux policiers en leur déclarant ce qu’il savait sur l’assassinat du mafioso Guiseppe De Vito, empoisonné au cyanure le 8 juillet 2013 au pénitencier de Donnacona.

Les révélations de Silva dans le projet d’enquête Alliance impliquent également au moins un prisonnier complice, selon des sources de notre Bureau d’enquête et de l’Agence QMI.
Silva, qui a exécuté plusieurs contrats de meurtres pour le clan Rizzuto jusqu’à son arrestation à l’hiver 2019, n’aurait cependant pas participé au complot visant celui qu’on surnommait «Ponytail».
De Vito aurait avalé des somnifères contenant le poison mortel, selon des informations publiées en avril 2015 dans Le Journal de Montréal.
Il purgeait alors une peine de 15 ans d’incarcération pour gangstérisme et importation de cocaïne à la suite de l’opération Colisée, menée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en 2006.
Le dangereux caïd n’avait été capturé qu’à l’automne 2010 et il aurait profité de sa longue cavale pour éliminer des membres du clan Rizzuto qu’il tenait responsables des preuves incriminantes que la GRC avait amassées contre lui.

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