Le grave problème de la nomination des juges par Ottawa mérite d’être débattu

Antoine Robitaille
À part peut-être la loi 96 sur le français, le seul autre sujet non trumpien et proprement québécois à avoir été abordé pendant cette campagne fédérale est celui de la nomination des juges.
D’accord, cette question ne soulève pas les passions dans nos autobus. Mais elle constitue pourtant un problème fondamental, un «vice du Dominion».
Le 8 avril, le gouvernement Legault déposait une importante motion, qui sera débattue la semaine prochaine à l’Assnat. Celle-ci réclame une modification à la Constitution visant à préciser ceci: que désormais, les juges des cours supérieures et d’appel du Québec soient choisis parmi des noms «recommandés par le gouvernement du Québec».
Actuellement, seuls les juges des cours dites «inférieures» (Cour du Québec, tribunaux administratifs du logement, du travail, etc.) sont nommés par Québec.
Pour les cours supérieures et d’appel, c’est le gouvernement à Ottawa qui nomme unilatéralement les juges. Il s’agit d’un «vestige anachronique de la centralisation fédérale», comme l’a bien dit, en 1979, une commission menée par les fédéralistes Pépin et Robarts.
Exagérations
Mais pour deux juges à la retraite, Jacques Chamberland (ancien de la cour d’appel) et Daniel W. Payette (ancien de la cour supérieure), il faudrait surtout ne rien changer.
Dimanche, ils dénonçaient sur notre site web, à coups d’exagérations, l’initiative de Québec. Selon eux, vouloir que l’État fédéré qu’est le Québec ait plus de poids dans la nomination des juges de la Cour suprême du Québec et de la Cour d’appel du Québec relèverait d’un «nationalisme judiciaire fort mal avisé». Pis encore, la motion sous-tendrait que ces tribunaux supérieurs soient «illégitimes» lorsqu’il s’agit de «trancher des causes relevant du droit civil ou pire encore, de contrôler la légalité des lois adoptées par le Québec».
• Regardez aussi ce podcast vidéo tiré de l'émission de Benoit Dutrizac, diffusée sur les plateformes QUB et simultanément sur le 99.5 FM Montréal :
Déficit fédératif
Nos deux anciens magistrats semblent refuser de voir le grave problème dénoncé pourtant par de multiples experts: notre mode de nomination contrevient aux principes du fédéralisme, ce qui est admirablement démontré dans le rapport Proulx-Rousseau déposé l’automne dernier.
Par exemple, nos cours supérieures tranchent des différends constitutionnels entre les provinces et Ottawa. Mais c’est Ottawa qui nomme l’arbitre, systématiquement.
Pour illustrer le problème, imaginons que, dans les séries éliminatoires de hockey, les dirigeants d’une équipe désigneraient toujours ceux qui porteront le gilet rayé. Des questions sur les décisions de ces derniers se poseraient inévitablement.
Comme on se pose des questions, par exemple, sur les fameux jugements des années 1980 qui ont avalisé le coup de force constitutionnel de P.E. Trudeau, qui avait nommé presque tous les juges (dont son ancien conseiller consti!).
Partisanerie
Aujourd’hui, le mode de nomination fédéral est beaucoup moins imperméable à la partisanerie que celui de Québec. De nombreuses enquêtes de journalistes ont, depuis 10 ans, prouvé l’ingérence politique du PLC dans les nominations à la magistrature.
Une étude du professeur de droit Guillaume Rousseau, de l’Université de Sherbrooke, dont Le Journal a publié les résultats l’an dernier, a démontré que les juges nommés par Justin Trudeau depuis 2016 avaient tendance à produire des jugements «trudeauistes».