Le gouvernement Trudeau laisse les coffres dans le rouge, son successeur devra trouver de l’argent
«Il n’y a rien d’intouchable», même les programmes sociaux, préviennent économistes et politologues

Anne Caroline Desplanques
Héritier d’un énorme déficit de plus de 60 milliards de dollars, le prochain gouvernement pourrait n’avoir d’autres choix que de couper jusque dans les programmes sociaux pour se donner les moyens de contrer Donald Trump.
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Le constat est frappant: en dollars constants, le gouvernement Trudeau a dépensé plus par personne que le fédéral ne l’a fait durant la grande dépression ou les deux guerres mondiales, selon l’Institut Fraser. Et cela, même si on exclut les dépenses liées à la pandémie.
Notre Bureau d’enquête a décortiqué les dépenses du gouvernement Trudeau jusque dans ses menus détails pour vous présenter aujourd’hui une affiche retraçant tout l’argent public dépensé au cours de la dernière année.
«Si on veut combattre le déficit, la formule est facile: on augmente les revenus ou on baisse les dépenses, ou on fait les deux. Il n’y a pas d’autre façon d’y arriver», indique Geneviève Tellier, qui concentre ses recherches à l’Université d’Ottawa sur les finances publiques.

«Rien d’intouchable»
Cette semaine, le président Trump a imposé des tarifs douaniers de 25%, et il évoque régulièrement l’idée de faire du Canada le 51e état.
Kevin Page, ex-directeur parlementaire du budget, explique que le prochain gouvernement devra trouver de l’argent pour investir massivement en défense et en infrastructures, afin de faire face à ces menaces envers notre économie et notre souveraineté.
Pour y parvenir, Ottawa n’aura d’autre choix que d’emprunter, dit-il, ce qui rend illusoire un retour à l’équilibre budgétaire d’ici cinq ans. Néanmoins, pour amoindrir le trou dans la caisse, il est aussi nécessaire de réduire les dépenses existantes.
Dans un tel contexte, Mme Tellier estime qu’«il n’y a rien d’intouchable», même l’Allocation canadienne pour enfant, les garderies à 10$ par jour, les soins dentaires, ou l’assurance médicaments. Ce dernier programme est probablement le plus à risque, prévoit la politologue, car il est très partiel et récent donc pas encore inscrit dans les meurs.
Tout premier ministre qui s’attaquerait à ses programmes phares des années Trudeau, en particulier l’Allocation canadienne pour enfant, aurait toutefois à payer «un très fort prix politique», prévient M. Page.
S’appuyant sur l’avis du Fonds monétaire international, l’économiste indique que ces programmes sociaux ne sont pas des obstacles au retour à l’équilibre budgétaire et que c’est donc ailleurs qu’il faut regarder.
Premières Nations
Comme Mme Tellier, M.Page plaide pour un examen détaillé des programmes: «nous devons nous assurer que tous ces programmes, que tout cet argent, sont nécessaires et donnent des résultats». Tous deux pointent en particulier la multiplication des initiatives destinées aux Premières Nations et aux Inuits.
De toute l’histoire du pays, le gouvernement Trudeau est celui qui leur a consacré le plus d’argent. «Les dépenses à l’appui des priorités autochtones ont fait un bond considérable depuis 2015 (181%)», indique Finances Canada. De 11 milliards de dollars en 2015, elles ont maintenant fracassé les 32 milliards.
À cela s’ajoutent les milliards versés en règlement de poursuites judiciaires, dont les 23,4 milliards de dollars pour les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations touchés par le sous-financement des services de protection de l’enfance.
Le mammouth bureaucratique

Autre poste de dépense à analyser, indique Mme Tellier, celles qui soutiennent le fonctionnement du mammouth bureaucratique fédéral.
Ottawa a embauché plus de 110 000 fonctionnaires depuis 2015, soit une croissance de 43%, alors que la population du pays a augmenté de 16%. Entre 2019 et 2022, les dépenses en personnel ont ainsi bondi de 14,4% par an en moyenne.
«M.Harper avait coupé 19 000 fonctionnaires. Je pense qu’on pourrait en couper plus», estime Mme Tellier.
La politologue explique que des coupures sont nécessaires à la fois pour faire des économies et pour redynamiser l’État que la croissance de la fonction publique est en train de paralyser: «On n’en a pas pour notre argent: ce n’est pas parce qu’il y a plus de gens que les services vont mieux».
-avec la collaboration de Marie Christine Trottier
Deux initiatives phares des années Trudeau
Allocation canadienne pour enfants
Cette mesure a eu un impact significatif dans la vie des gens. Entre 2015 et 2022, le taux de pauvreté des moins de 18 ans au sein d’un couple avec enfants a diminué de 13,2% à 6,8%, et de 39,2 à 26,9% au sein d’une famille monoparentale ayant une femme à leur tête, indique Luc Godbout, titulaire de la chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.
Services de garde à 10$ par jour
Cette initiative a réduit de plus de moitié la facture de frais de garde déboursés par les familles et a permis à 175 000 femmes de faire leur entrée sur le marché du travail, selon le Center for Future of Work. Le comité d’experts calcule que cette mesure a ainsi permis d’ajouter 1% au PIB national (32,6 milliards$) et a évité au Canada la récession technique en 2023.
Les dépenses inévitables qui ne font que grossir
Sécurité de la vieillesse
Coût: 76,036 milliards de dollars en 2023-2024
En juillet 2022, la pension de la Sécurité de la vieillesse a été majorée de 10% pour les personnes âgées de 75 ans ou plus. Compte tenu du vieillissement de la population, la facture grimpe d’année en année.
Transferts canadiens en matière de santé
Coût: 494 milliards de dollars en 2023-2024
Le directeur parlementaire du budget (DPB) s’attend à ce que la note atteigne 62,7 milliards de dollars d’ici 2028-2029.
Intérêts sur la dette
Coût: 47,3 milliards de dollars en 2023-2024
Le DPB s’attend à ce que les frais de la dette publique atteignent 62 milliards de dollars d’ici 2028-2029.