Le fromage, preuve de l’existence de Dieu!


Mathieu Bock-Côté
Je tiens le fromage pour une preuve de l’existence de Dieu.
Probablement la plus convaincante, avec le vin rouge, cela va de soi, et le whisky, si on en veut une troisième.
Mais ne nous éloignons pas du fromage. Rien ne rivalise sur terre avec un vrai camembert, avec un comté, avec une boulette d’Avesnes, avec un Langres fermier, avec un Mont d’Or, avec un Salers tradition ou avec un Roquefort.
Bonheur
Je pourrais aisément manger une immense table de fromages et de charcuteries comme souper. D’ailleurs, c’est parce que je l’ai trop fait dans ma vie que mon médecin m’impose un régime strict depuis quelques semaines, et j’ai pour un temps, mais pour un temps seulement, banni le fromage de ma vie, ou presque, car c’est avec lui que je fais mes petites tricheries.
Soit dit en passant, je vous donne ma définition bien personnelle du régime: cela consiste à vivre toujours dans l’attente du prochain repas, qui, par définition, sera décevant. Alors on rêve du plat qu’on reprendra quand le régime cessera.
D’ailleurs, si vous voyez un gros bonhomme rôder près d’une fromagerie, puis y entrer pour renifler les produits, c’est moi.
Tout cela pour dire que l’Agence canadienne d’inspection des aliments, qui relève d’Ottawa, ne comprend rien au fromage, et a déclaré la guerre au fromage au lait cru.
Officiellement, la raison est sanitaire. On s’inquiète de la dermatose nodulaire, qui cause de grands soucis en Europe aujourd’hui. Ses effets sur les troupeaux européens sont effectivement ravageurs.
Sauf que cette maladie, nous dit le journal français Le Progrès, ne vient avec «aucun risque d’une contamination humaine, que ce soit par la consommation de produits issus d’un animal contaminé ou par une piqûre». Que je sache, en France, le fromage au lait cru n’est pas interdit.
Je ne peux m’empêcher de reconnaître là un marqueur d’incompréhension culturelle assez profond.
De mémoire, les fonctionnaires fédéraux avaient décidé la même chose à la fin des années 1990.
Mon député fédéral bloquiste de l’époque, Paul Mercier, dans un formidable discours, s’était opposé aux faces de carême du gouvernement fédéral, qui sont du genre à s’enthousiasmer pour une pelletée de porridge ou à s’encanailler en ajoutant de la cannelle dans leur gruau.
J’ajoute: croit-on vraiment que ce qu’on fait passer pour du fromage, trop souvent, dans nos supermarchés, au goût standardisé, ennuyant, terne, est meilleur pour la santé? Vraiment?
Puritanisme
Je regarde le Nord-Américain objectivement obèse typique et bouffeur de plats low fat et je n’y vois pas l’avenir du monde civilisé.
J’en viens à croire que notre époque est hostile aux arts de la table, comme à tous les plaisirs traditionnels, comme à tous les bonheurs enracinés.
On voudrait nous faire vivre sous une cage de verre, contrôlés par des inspecteurs végans au teint vert.
Et devant cela, à la défense de nos fromagers, je dirai: arrière, Ottawa! Vive le fromage au lait cru!