Le drôle de débat sur la taxe carbone


Francis Gosselin
Au lendemain de son élection, Mark Carney a suspendu l’application de la taxe carbone partout au pays. Partout, sauf au Québec, car la province, qui dispose de son propre mécanisme, a choisi de maintenir son système de plafonnement et d’échange – le SPEDE –, qui coûtait jusqu’à tout récemment environ 13¢ par litre d’essence vendu au Québec.
Lors des dernières enchères menées au Québec, cette tarification a toutefois diminué et ne représente plus que 8¢ par litre.
Bonne idée, mal exécutée
De l’avis d’une majorité d’économistes, un tel système est une meilleure solution qu’une taxe. Il permet de maintenir la pollution là où elle est la plus coûteuse à éliminer tout en finançant la décarbonation.
Malheureusement, l’exécution laisse à désirer. Le Fonds vert, devenu Fonds d’électrification et de changements climatiques, est une boîte noire opaque et inefficace.
Les consommateurs, qui financent ces efforts, n’en bénéficient pas, comme c’est le cas ailleurs au Canada. On a vaguement le sentiment de se faire avoir.
Beaucoup de bruit pour rien
Un sondage mené par Abacus pour le compte de Mobilité Électrique Canada révèle que les Québécois connaissent très mal le SPEDE et surtout le coût réel qu’il leur fait supporter.
Dans les faits, pour une voiture ou un camion léger qui parcourt 15 000 km par année et qui consomme 8 litres/100km, le coût est de... 2$ à 3$ par semaine.
L’étude d’Abacus révèle que plus du tiers de la population québécoise ignore totalement le coût de ce système. Pire encore, plus d’un Québécois sur deux surestime significativement son coût: 23% croient même que le SPEDE leur coûte plus de 26$ par semaine.
Il faudrait parcourir 130 000 km PAR ANNÉE pour arriver à un tel coût!
Républiques de bananes
On entend beaucoup de critiques sur le prix élevé de l’essence au Québec. Il faut dire que le gouvernement provincial applique toutes sortes de contributions et de taxes sur l’or noir. On finance ainsi les routes, le transport en commun, mais aussi, effectivement, la transition énergétique.
Ces frais contribuent à entretenir la confusion à propos de la tarification du carbone, qui n’est qu’une composante du prix final.
Je comprends qu’on veuille un prix plus bas, mais je m’interroge sur le niveau qui nous apparaîtrait juste.
Au Venezuela, le litre se vend au prix subventionné de 0,01$ le litre jusqu’à un certain niveau, puis à 0,50$ le litre ensuite. Est-ce vraiment à ce type d’État que nous aspirons?
Amoureux du pétrole?
Il existe évidemment des amoureux inconditionnels du pétrole. Mais lorsque les consommateurs découvrent le coût réel du SPEDE, soit 2$ à 3$ par semaine, ils ne sont plus que 20% à s’y opposer, révèle l’étude d’Abacus.
Cela dit, soyons intelligents: en cette période où la vie coûte cher et où les familles sont prises à la gorge, une petite pause serait-elle possible? Peut-être.
Il serait cependant plus judicieux de maintenir le SPEDE, mais de remettre ces sommes aux contribuables. Si vous receviez chaque année 150$ ou 200$ du gouvernement pour votre participation à ce système, changeriez-vous d’idée? Je parie que pour beaucoup de contribuables – particulièrement les moins nantis –, la réponse serait positive.
Cela ferait supporter le coût de polluer à ceux qui polluent le plus – gros moteurs, grands voyageurs –, tout en redistribuant les sommes récoltées à la population.
C’est une chose de rager contre le prix de l’essence. Mais ne tombons pas dans le panneau de refuser la transition énergétique, absolument nécessaire, qui doit se poursuivre. En informant mieux les Québécois, nous pourrons faire de meilleurs choix collectifs, et réduire notre dépendance aux énergies du siècle dernier.