Le courriel envoyé à 23 h qui a changé la vie de la directrice du tournoi de tennis professionnel féminin de Québec


Jessica Lapinski
Un courriel envoyé à 23h, un peu comme une bouteille à la mer pendant une période très dure, a complètement changé la vie de celle qui est la directrice du tournoi qui se déroulera la semaine prochaine, marquant le retour du tennis professionnel féminin à Québec, après sept ans d’absence.
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«Tout ce à quoi j’ai rêvé, je l’ai aujourd’hui», raconte avec un large sourire Doroteja Eric, la directrice du tournoi W35 de Québec et directrice des programmes de l’Académie Aliassime.

Doroteja est tombée dans la marmite du tennis d’abord par amour pour ces fraises qu’elle pouvait aller cueillir dans le champ situé derrière le court où elle s’entraînait, enfant. Mais son rêve a pris fin quelques années plus tard.
À cette époque, les deux seuls mots de français qu’elle connaissait étaient «bonjour» et «merci».
Pas de quoi rendre très fière sa maman, une professeure de français, qui l’avait déjà prévenue: un jour, tu vas te mordre les doigts de ne pas avoir voulu apprendre!
La jeune «Dora» venait alors de voir sa carrière de joueuse de tennis, qui l’a emmenée jusqu’au 216e rang sur la WTA, prendre fin sur une note amère.

Parce que la Serbe d’origine en voulait plus. Et elle en voulait encore. Mais une blessure sérieuse à l’épaule, mal traitée, l’a contrainte à accrocher sa raquette.
Une réponse venue par surprise
Cette retraite prématurée n’a pas été simple à digérer pour l’athlète de haut niveau.
Doroteja Eric s’est un peu cherchée. Elle ne souhaitait pas faire sa vie en Serbie. Elle est partie visiter un cousin, entraîneur de tennis, en Chine.
Au fait de son voyage, des membres de sa famille installés au Canada l’ont invitée à venir voir leur coin de pays à eux aussi.
«Moi, je suis quelqu’un qui a besoin d’avoir des projets, explique-t-elle. Je me suis dit que c’était une chose d’aller les visiter, mais j’avais besoin de plus. Après sept jours à prendre des photos, j’allais m’ennuyer.»
C’est ainsi qu’un soir, quand elle se trouvait en Chine, elle a décidé d’envoyer un courriel à Tennis Canada, leur demandant s’ils cherchaient une entraîneuse.

La réponse fut si rapide que «Dora» en était étonnée: «Nous ne cherchons personne pour l’instant, mais nous allons envoyer votre candidature aux académies.»
«Je me suis couchée en me disant que c’était une façon polie de me dire non merci», se remémore-t-elle.
Mais... le lendemain, à son réveil, un autre courriel était apparu dans sa boîte. «Bonjour, je m’appelle Sam Aliassime et j’ai une académie. Appelez-moi svp.»
Doroteja Eric croyait d’abord à une blague. Dans son pays natal, explique-t-elle, rien n’est aussi simple. «Je n’aurais simplement jamais eu de réponse», dit «Dora», neuf ans plus tard.
Besoin d’un interprète au téléphone
Tout n’était toutefois pas si simple, quand même! C’est qu’à l’époque, la jeune femme ne connaissait que deux mots de français. Sam Aliassime, lui, ne parlait pas vraiment anglais.
Mais ce dernier, manifestement enchanté par la candidature, a demandé à une amie de leur servir d’interprète.
Et manifestement enchanté par ce qu’il a entendu au bout du fil, il a invité Doroteja à venir entraîner les adolescentes de ce qui s’appelait encore à l’époque l’Académie Hérisset Bordeleau.
Doroteja Eric est vite retournée en Serbie pour chercher un visa. Peu après, elle débarquait à Toronto, où plusieurs jeunes du club étaient en tournoi.
Elle se souvient de son arrivée, d’avoir attendu Sam Aliassime et la bande, qui étaient en retard, dans l’entrée de l’énorme aéroport Pearson. Elle se souvient d’avoir douté de son choix, comme sa maman qui était réfractaire à l’idée.
Elle se souvient aussi de ces quatre jeunes qu’elle allait ensuite entraîner, qui étaient venus l’accueillir en lui criant «Dora!» et en la couvrant de câlins. L’un d’eux, celui avec les cheveux tout ébouriffés, s’appelait Gabriel Diallo.
Elle ne se souvient pas de grand-chose du trajet entre Toronto et Québec, après s’être endormie dans le van de l’académie.
Le français qui donne mal à la tête
Mais elle a encore bien en tête les mois qui ont suivi, son désir d’apprendre le français le plus rapidement possible, de s’intégrer dans cette nouvelle ville, dans cette nouvelle vie.
«J’avais souvent mal à la tête, le soir, dit-elle au sujet de cet apprentissage de la langue. Sauf que ce qui est bien avec les jeunes, c’est qu’ils s’en fichent que tu dises le ou la. Ils rient un peu, mais c’est tout.»
«Dora» a appris. Neuf ans plus tard, elle parle un français presque parfait, sauf quelques le et la encore mal placés, blague-t-elle.
Elle est citoyenne canadienne, et toute sa famille, même sa maman au départ réfractaire à son départ, est venue la rejoindre à Québec.
«Au moment où je suis arrivée au Canada, j’ai senti que c’était ma maison. Il y avait un lien, que je ne pouvais pas vraiment expliquer. C’est une société très ouverte.»
La chance de pouvoir rêver
Doroteja Eric est fière de ses racines, de son parcours pas toujours facile dans une Serbie qui se relevait de la guerre.
Quand elle était enfant, ses parents devaient se lever aux aurores pour lui chercher des visas, afin qu’elle puisse voyager pour les tournois. Parfois en vain.
À 14 ans, elle est partie s’entraîner à Belgrade, la capitale, où le court se trouvait dans une piscine olympique reconfigurée en terrain de tennis.
«J’ai eu tellement de chance de tomber sur Sam, sourit-elle. Il m’a ouvert tellement de portes, il m’a appris tellement de choses. Il a tracé ma voie depuis que je suis arrivée ici.»
«Dans la vie, on peut avoir des connaissances, on peut être travaillant, poursuit Doroteja Eric. Mais des fois, ça prend de la chance pour pouvoir vraiment rêver.»