«Tomber amoureux, c’est une emprise délicieuse»: le neuropsychiatre français Boris Cyrulnik décrit les liens d'attachement entre les êtres dans son nouvel essai


Marie-France Bornais
Boris Cyrulnik, neuropsychiatre de renommée internationale, auteur célébré partout dans le monde pour ses écrits sur la résilience, entre autres, propose un livre qui décortique et examine en profondeur ce qui concerne l’amour et l’attachement, Quand on tombe amoureux, on se relève attaché. Pour lui, l’amour n’arrive pas par hasard ni par magie: il faut être disposé à l’accueillir. «Ce merveilleux moment ne touche que ceux qui y sont disposés», écrit-il. Il faut aussi savoir créer des liens d’attachement.

Dans son nouveau livre, Boris Cyrulnik s’intéresse à l’histoire de l’amour dans le monde et dans les différentes cultures, aux liens amoureux, à l’attachement, aux troubles de l’attachement et à leurs conséquences, à l’emprise, aux liens qui permettent de se libérer. À ce qui fait qu’on tombe amoureux, qu’on s’attache à l’autre.
Il fait plusieurs liens avec les enfants ayant vécu des épreuves, des déchirements et des traumatismes pendant la Seconde Guerre mondiale – ce qu’il a lui-même connu.
L’amour intense
Boris Cyrulnik, en entrevue, explique que «l’amour est une emprise», même chez les jeunes gens, même chez les adultes. «Quand on tombe amoureux, on est follement heureux d’être sous l’emprise de notre objet d’amour: je veux être près d’elle, tout le temps lui tenir la main, la regarder. Ce n’est pas forcément lié à la sexualité, c’est lié à la proximité.»
L’amour intense, par contre, est «totalement désocialisant», à son avis. «Regardez Roméo et Juliette», dit-il en donnant pour exemple ces amoureux qui se fichaient éperdument de la tragédie qu’ils allaient provoquer chez les Montaigu et les Capulet. «Ce qui compte, c’est leur amour.»
«L’attachement libère»
Au contraire, poursuit-il, l’attachement libère. «J’ai confiance en lui, en elle. Je me sens fort, j’ai confiance en moi parce que je sais qu’elle me soutient. Je peux donc partir travailler, je peux donc partir en stage. Je sais que je peux compter sur elle, et si j’ai un problème, je viendrai en parler. On va réfléchir tous les deux et on va chercher des solutions. Et ça crée de la solidarité, mais pas de l’emprise.»
Créer de l’autonomie
L’attachement a des effets positifs. «Ça crée de l’autonomie. J’ai un souci mais je sais que je peux lui expliquer, on va chercher à trouver une solution. Je me sens bien. J’ai confiance en moi. Je me sens bien grâce à elle, grâce à lui.»
«L’amour, ce n’est pas ça du tout. L’amour, c’est: je ne suis bien que quand je suis près d’elle, près de lui. Il y a des pièces d’opéra comme ça: Carmen, c’est le choix entre partir faire la guerre ou rester près d’elle.»
«Dans la Rome antique, les hommes qui tombaient amoureux étaient ridiculisés, parce que ce qui comptait, c’était la guerre. D’ailleurs, je cite la Rome antique ou l’opéra, mais j’ai connu ça. Quand j’étais enfant, j’ai connu deux guerres. Un homme est soumis à la pression sociale.»
Créer des liens
L’avantage de l’amour, ajoute-t-il, est de devenir avide du moindre indice fourni par l’autre, d’être hyper attentif à l’autre et ainsi de créer les premiers liens.
«En étant hyper attentif à elle, je tisse les premiers nœuds de l’attachement qui vont me libérer. Tomber amoureux, c’est donc une emprise délicieuse, à condition que je tisse les premiers nœuds de l’attachement qui libère.»
Quand on tombe amoureux, on se relève attaché
Boris Cyrulnik
Éditions Odile Jacob
304 pages
- Boris Cyrulnik est neuropsychiatre.
- Il est l’auteur de très nombreux ouvrages qui ont tous été des best-sellers.
- Il a publié récemment Des âmes et des saisons (2021) et Le Laboureur et les Mangeurs de vent (2022).
«Ceux qui ont bénéficié d’un attachement sécurisé sont les plus faciles à aimer, mais certains se sentent plus à l’aise avec un attachement apaisé et moins fiévreux que l’amour intense, parfois source d’angoisse.
Ceux qui, dans leur enfance, ont connu un désert affectif ont tendance à croire qu’ils ne sont pas aimables puisqu’ils n’ont jamais été aimés; quand on les aime, ils pensent qu’ils ne le méritent pas et qu’on va à nouveau les abandonner. Il est alors difficile de tisser un lien d’attachement.»
– Boris Cyrulnik, Quand on tombe amoureux, on se relève attaché, Éditions Odile Jacob
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