«C’était à une époque où les plans d’aménagement n’existaient pas»: reliques de l’entre-deux-guerre, les boulevards commerciaux sont un vestige de l’âge d’or des banlieues
Partout au Québec, ces «strips» d’inspiration américaine fracturent le tissu urbain depuis 50 ans... et on cherche comment s’en débarrasser

Mathieu-Robert Sauvé
Longueuil et Brossard veulent faire oublier la laideur du boulevard Taschereau pour le rendre plus vert, mais cette artère témoigne d’une histoire urbaine marquée par le développement anarchique des banlieues.
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«On l’a aménagé [le boulevard] pour faire circuler les autos venant du pont Jacques-Cartier, premier pont construit pour l’automobile dans le grand Montréal en 1930. C’était à une époque où les plans d’aménagement n’existaient pas. Mais des boulevards Taschereau, il y en a partout au Québec», lance l’urbaniste Gérard Beaudet, professeur à l’Université de Montréal et spécialiste du développement urbain.

Inauguré en 1932, le boulevard Taschereau préfigure le modèle des grandes artères urbaines qui fera de nombreux petits hors Montréal: Curé-Labelle à Laval, des Galeries à Québec, Saint-Joseph à Drummondville. On en trouve dans tous les coins du Québec, y compris dans de plus petites agglomérations comme à Sainte-Agathe (boulevard Norbert-Morin) ou à Berthierville (boulevard Gilles-Villeneuve).
Essentiellement, ce sont des espaces dévégétalisés jonchés de motels, un néologisme formé des mots «motor» et «hotel», de concessionnaires automobiles et de restaurants.

Écosystème parfait
La «strip» offre un écosystème parfait pour l’implantation des centres commerciaux qui fleurissent à partir des années 1940 aux États-Unis, 10 ans plus tard au Québec. «Nous ne faisons que copier le modèle au sud de la frontière avec quelques années de retard», signale M. Beaudet.
Place Longueuil, ouvert en 1966, arrive plusieurs années après les pionniers de la région de Québec, véritable capitale du centre commercial: Place Sainte-Foy (1957), Galeries de la Canardière (1958), Place Laurier (1961) et Place Fleur-de-Lys (1963). À Montréal, les Galeries d’Anjou (1968) se positionnent comme le premier des grands centres commerciaux «modernes» avec ses 800 000 pieds carrés et 85 magasins.


La fin des boulevards
Comme tout empire, celui des «strips» connaît un déclin rapide après son apogée dans les années 1970. C’est le réseau des autoroutes qui aura raison de ce concept. En se développant dans toutes les directions à partir de 1957 (Félix-Leclerc, Jean-Lesage, Laurentides, Cantons de l’Est), les autoroutes draineront les clients des boulevards urbains de type Taschereau. Les consommateurs les délaissent pour les mégacentres commerciaux accessibles par l’autoroute.
«Aux États-Unis, on a démoli des centaines, voire un millier de ces centres commerciaux de moins en moins rentables. C’est le destin qui attend ceux d’ici», commente M. Beaudet.

Il rappelle que la réfection annoncée du boulevard Taschereau par les mairesses Catherine Fournier et Doreen Assaad n’est pas la première à sortir des planches à dessin. À son avis, seule une offre supérieure de transport collectif pourrait assurer la viabilité du projet. Le boulevard Taschereau a trois segments, de la sortie du pont à l’hôpital Charles-Lemoyne, de ce point à l’autoroute 10 et après, qui sont tous assujettis à une lourde circulation.

«Ce boulevard a été conçu autour de l’automobile individuelle. Tant qu’elle demeurera la préférence des usagers, et les ventes d’autos sont toujours en hausse, je ne crois pas qu’on puisse changer sa vocation», conclut-il.