L’aveuglement de nos gouvernements affiché au grand jour au Grand Prix

Ann Leduc
Il est désolant de constater que nos gouvernements contribuent au proxénétisme à coups de dizaines de millions de dollars. La ministre québécoise du Tourisme, Caroline Proulx, souligne que «le gouvernement du Québec est, avec le gouvernement fédéral, un des principaux bailleurs de fonds du Grand Prix du Canada (GP), avec une contribution d’environ 5,4 M$, ce qui est un peu moins que la contribution d’Ottawa».
L’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques estime pour sa part qu’«entre 2009 et 2031, les trois ordres de gouvernement auront déboursé 400 M$ uniquement pour les droits versés aux propriétaires du circuit».
Or, «la course au sexe pendant la semaine du Grand Prix [est] sans doute le vrai sport non officiel à Montréal», et au moins un site touristique indique comment gagner cette course non officielle, malgré les admonestations sur l’achat de services sexuels des organisateurs du GP et des organismes de lutte contre l’exploitation sexuelle. De l’aveu même du plus récent président et chef de la direction du GP de Formule 1 du Canada, François Dumontier: «Le Grand Prix de Montréal ne se cache pas. L’organisation est bel et bien consciente que cet événement d’envergure mondiale entraîne une hausse de la prostitution dans la métropole lors du week-end. [...] On le dénonce, affirme-t-il, mais malheureusement, on ne peut pas toujours savoir ce qui va se dérouler [en privé].» Et on y constate une demande pour des filles de plus en plus jeunes.
Société misogyne
Pour les droits des femmes du Québec a déjà publié un mémoire sur la nécessité d’abolir la prostitution. Nous reprenons ici les mots de Meghan Murphy sur l’exploitation sexuelle qui va se dérouler ce week-end et que nous finançons tous indirectement bon gré mal gré: «Ceci parce que nous vivons dans une société misogyne qui, non seulement apprend aux hommes que les femmes ne sont pas tant des êtres humains ayant droit au respect, mais qu’elles sont des cibles semblables à une voiture ou à une montre de grand prix: des objets auxquels on a plus facilement accès par la gloire et le fric. “L’argent, le pouvoir, les femmes”, voilà le rêve américain des hommes, et c’est un rêve qui place au premier plan les marchandises et qui range les femmes parmi ces marchandises.»
Nous partageons le constat de Patrick Lagacé, publié dans La Presse: «J’ai des doutes sur l’efficacité de campagnes semblables, vu la nature du public cible: un gros dégueulasse qui achète une mineure va-t-il vraiment avoir une épiphanie en voyant une campagne publicitaire lui rappelant que violer une ado de 15 ans, c’est mal? [...] [L]e bâton m’apparaît plus efficace que la carotte pour refroidir les ardeurs, en pareille matière. Judiciarisation et médiatisation des gros dégueulasses: c’est aussi un excellent message de “sensibilisation” [sic], me semble.»
Abolir les mythes
Finalement, deux autres messages. Il faut visionner le film Noémie dit oui avant de dire que la prostitution est un «travail» comme un autre, surtout pendant «la mascarade qui se tient souvent aux alentours du Grand Prix de F1 à Montréal».
Et avant de dire que «ç’a toujours existé», rappelons-nous qu’il en était ainsi de l’esclavage, et que c’est à Montréal en 1798 qu’un homme courageux, le juge James Monk, y a mis fin, plus de 30 ans avant l’abolition de l’esclavage dans l’Empire britannique. Nous aussi, nous dénonçons et disons: non. Non à la prostitution des jeunes filles, à l’exploitation des corps féminins, à la mascarade du Grand Prix.
Ann Leduc
Membre de Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec) et co-traductrice de l’œuvre d’Andrea Dworkin Pornography: Men Possessing Women (1981) (version française: Pornographie: les hommes s’approprient les femmes, Éditions LIBRE, 2022).