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L'article provient de Le Journal de Montréal
Monde

L’autoritarisme à la Trump est une plus grande menace à la liberté académique que le wokisme, craint le recteur de l’UdeM

Certains chercheurs d’ici ressentent déjà les effets des attaques du gouvernement américain sur la science

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Photo portrait de Dominique  Scali

Dominique Scali

2025-05-28T04:00:00Z
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Le «wokisme» est relégué au second plan dans les craintes des chercheurs maintenant que l’administration Trump s’attaque directement aux scientifiques, observe le recteur de l’Université de Montréal en entrevue.

«Il n’y a pas de société qui est à l’abri [de ce genre de dérive antiscience]», lance Daniel Jutras, recteur de l’Université de Montréal (UdeM) en entrevue exclusive avec Le Journal.

M. Jutras abordera aujourd’hui le sujet de la liberté académique en compagnie d’autres recteurs dans le cadre d’un panel organisé par le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM).

«Le sujet de la liberté académique s’est imposé au cours des derniers mois avec l’actualité américaine», explique Alexandre Perron, directeur principal du CORIM.

Par exemple, le gouvernement de Donald Trump menace de retirer le financement fédéral à plusieurs universités, dont la prestigieuse Harvard, leur reprochant les manifestations propalestiniennes d’étudiants.

Des compressions visant les National Institutes of Health ont également été annoncées, ce qui risque d’affecter des milliers de recherches reliées à la médecine.

Réelle mais exagérée

Jusqu’à récemment, on parlait généralement de liberté académique en lien avec certaines dérives idéologiques qualifiées de «woke». Une commission présidée par Alexandre Cloutier s’est d’ailleurs tenue sur le sujet en 2021 dans la foulée d’incidents à l’Université d’Ottawa, comme la suspension critiquée de la professeure Verushka Lieutenant-Duval et les propos anti-québécois du professeur Amir Attaran.

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Cet enjeu est réel, rappelle Daniel Jutras. L’UdeM s’est d’ailleurs dotée d’une politique protégeant la liberté universitaire dès 2022.

«Il n’y a pas de sujet tabou, tous les sujets peuvent être explorés et doivent l’être avec rigueur», résume M. Jutras.

«Une des menaces à la liberté académique, c’est l’autocensure, et ce n’est pas marginal.» D’où l’importance de créer des conditions qui permettent de l’éviter.

Mais cette menace de dérive idéologique à l’interne a parfois été exagérée par divers commentateurs, trouve-t-il. 

«Les wokes, ce n’est vraiment pas mon quotidien.»

En revanche, les menaces provenant des États-Unis sont alarmantes et ont déjà des effets concrets ici, l’écosystème de la recherche mondiale étant ébranlé, particulièrement dans le domaine de la santé.

«Quand le gouvernement américain retire le financement sur certains sujets, il va arriver que [...] certains chercheurs affectés sont en fait [basés] chez nous», illustre M. Jutras. «Ce sont des millions de dollars qui viennent de disparaître.»

Moins de 1% des chercheurs de l’UdeM se trouvent dans cette situation. «Mais pour les chercheurs concernés, ce sont des projets qui s’arrêtent.»

Occasion favorable

Cette menace venue du Sud peut aussi être une occasion favorable pour attirer des chercheurs et des sommités qui seraient tentés de quitter les États-Unis ou qui avaient l’intention de s’y rendre.

Dans les derniers mois, plusieurs personnes à l’UdeM ont reçu des coups de fil d’amis chercheurs installés à l’étranger et qui s’informent des possibilités ici.

L’UdeM a d’ailleurs lancé en avril dernier une initiative philanthropique visant à amasser 25 millions $ en dons afin de recruter les meilleurs talents. Près de la moitié de cette somme a déjà été recueillie.

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Déclin inquiétant dans la crédibilité des universités nord-américaines

Le recteur de l’UdeM s’inquiète d’un recul dans la crédibilité des universités canadiennes et américaines, une tendance reliée à la montée du populisme en Occident.

Un sondage Gallup révélait que la proportion d’Américains ayant une grande confiance envers l’enseignement supérieur a chuté de 57% en 2015 à 36% en 2024. 

Ce déclin n’est pas exclusif aux universités et semble faire partie d’une tendance plus large, qui inclut les médias et d’autres institutions, ajoute Daniel Jutras.

Au Canada, cette perte de confiance va de pair avec une baisse d’intérêt en raison du coût élevé des études, particulièrement dans le reste du pays, précise-t-il.

Tolérer les originaux

«Les universités sont en partie responsables de ce déclin. Elles n’ont pas suffisamment expliqué leur rôle», estime M. Jutras.

Et leur rôle n’est surtout pas de dicter aux chercheurs quoi écrire ni sur quel sujet se pencher, rappelle-t-il. Quand il y a des dérapages de la part d’un chercheur, c’est à ses collègues de la même discipline de lui dire que sa méthode ne tient pas la route, par exemple.

En même temps, «il faut accepter qu’il y ait des trucs qui nous semblent à côté de la plaque, parce que là-dedans, il y en a qui vont s’avérer exacts [à long terme] et changer nos perceptions».

Et pas besoin de remonter à Galilée pour fournir des exemples. Il y a une dizaine d’années, le chercheur en intelligence artificielle Yoshua Bengio «passait pour un hurluberlu», illustre Geneviève O’Meara des relations médias de l’UdeM, alors qu’il est aujourd’hui un des plus connus.

La liberté académique, c’est quoi? C’est la liberté de créer du savoir sans contraintes externes, sans pressions venant de la classe politique, des milieux économiques, des organismes philanthropiques, des organismes subventionnaires... et même du recteur lui-même, résume Daniel Jutras.

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