L’allergie généralisée de la bière dans le sport
Si vous prenez une bonne bière après un match de hockey, vous êtes d’une autre époque. J’en fais partie.


Jean-Nicolas Blanchet
Si vous prenez une bonne bière après un match de hockey, vous êtes d’une autre époque. J’en fais partie.
Ça ne veut pas dire que vous êtes si vieux. Mais vous n’êtes pas jeune non plus.
Car chez la génération des 30 ans et moins, les buveux de bière, surtout dans le sport, sont des exceptions.
Chez les Capitales de Québec, sur 24 joueurs, 19 ne prennent pas de bière.
Chez les athlètes du Rouge et Or de l’Université Laval, c’est le même son de cloche. Ça se tient loin de la bière et de l’alcool en général. Plusieurs sportifs sont même végétariens.
8 fois moins de bière
Le Pub de l’Université Laval vendait 40 000 caisses de bière par année il y a 20 ans. L’an passé, c’était environ 6000.
Dans le hockey junior québécois, ça ne prend presque pas de bière, à la lumière de mes discussions avec quelques entraîneurs.
Dans chaque organisation sportive, on me parle d’un pourcentage grandissant d’athlètes qui choisissent même la sobriété.
Dans son dernier recensement, Statistique Canada révélait que deux jeunes sur trois (18 à 22 ans) n’avaient pas pris une goutte d’alcool durant la dernière semaine.
Un récent sondage mené en Grande-Bretagne, un paradis de la bière, a révélé que le quart des jeunes de 18 à 24 ans étaient maintenant sobres.
Au Canada, depuis 1949, il ne s’est jamais pris aussi peu de bière par habitant.
Ovechkin et son houblon
Si cette tendance est connue, j’aurais eu tendance à croire que dans certains sports, la bière aurait encore sa place. Le hockey, le baseball et le football, historiquement, ça rime avec bière.
En raison de la pub. Mais aussi parce que lorsqu’on voit Alex Ovechkin ou n’importe quel joueur ou joueuse de hockey professionnels dans le vestiaire après une victoire, ils ou elles n’ont pas un Gin concombre ou un Aperol Spritz dans les mains. C’est une bière froide. On peut penser à Matthew Tkachuk cet été. Ou Guy Lafleur à l’époque, quand il était junior.

Dans les ligues de garage au hockey ou à la Balle-Molle, après les matchs, ça boit de la bière, pas un Long Island iced tea en cannette.
Mais chez les sportifs de la génération après la mienne (j’ai 37 ans), ce n’est plus comme ça.
Toutes les chances de leur bord
D’abord, parce que les jeunes athlètes sont beaucoup mieux préparés qu’avant et qu’ils ne laissent rien au hasard pour être meilleurs. L’alcool n’est effectivement pas génial pour la récupération musculaire.
«C’est une génération qui est beaucoup plus sobre en général», lance le professeur en science de l’éducation de l’activité physique Vincent Huard Pelletier, de l’Université du Québec à Chicoutimi.
Celui qui a aussi étudié en diététique constate une baisse marquée de la consommation d’alcool et de boisson depuis une dizaine d’années, notamment chez les sportifs.
«Plusieurs joueurs de hockey buvaient auparavant pour un peu essayer d’endormir le mal ou endormir le stress. On en voit de moins en moins. Au hockey junior, ça n’existe pratiquement plus», ajoute-t-il.

«C’est un changement majeur de culture entre deux générations», constate pour sa part Michaël Morin, directeur des opérations médicales à la clinique du PEPS.
«Pour les aider à accomplir leur rêve, les athlètes se disent qu’ils ne peuvent pas regarder passer la parade. Quand c’est une question de milliseconde, ils se disent que prendre de la bière peut influencer le résultat. C’est une question d’améliorer les performances, et aussi une question éducationnelle, à mon avis [...] C’est fini le temps où l’entraînement d’un joueur de hockey c’était de faire du ski nautique durant l’été», explique-t-il. Les jeunes sportifs sont renseignés et comprennent comment mieux performer.
Les coachs pour la bière
Lachlan Fontaine est un ancien choix des Mariners de Seattle. À 20 ans, il rejoignait les Capitales de Québec. C’était en 2016. Il ne jouait pas beaucoup et s’est mis à boire un peu et finalement beaucoup. En surpoids, il avait mal partout quelques années plus tard et il a décidé de tout arrêter. L’athlète de Vancouver est aujourd’hui entraîneur adjoint chez les Capitales. Il est bien placé pour voir comment tout a changé en 9 ans.

Une petite bière après un match, il n’y a pas mal juste les deux autres entraîneurs québécois qui en prennent.
«Il y a une grosse tendance parmi les joueurs. Ils pensent beaucoup plus à la longévité de leur carrière. Ils veulent jouer plus longtemps et être en santé plus longtemps. On a tous vu comment d’anciens joueurs qui ne faisaient pas attention sont devenus. Est-ce que ça arrive aux gars d’aller au bar et prendre plein de bières? Oui. Mais beaucoup moins souvent. Là, ils se réunissent à leur condo ou à l’hôtel pour joueur à des jeux vidéo, par exemple».
Le déclin de la bière, vu par un gars dans la bière
Durant 42 ans, Réjean Soucy a travaillé dans le monde de la bière comme représentant avec les grandes brasseries. Fraîchement retraité, il a été aux premières loges pour assister au déclin de la consommation de bière.
Il me parle de plusieurs bars et tavernes qui vendaient vingt, trente et même quarante mille caisses de bière par année il y a 15-20 ans. Aujourd’hui, soit qu’ils sont fermés ou soit qu’ils en vendent maintenant 5000 caisses.
«La bière, ça se vendait parce que le monde socialisait. Quand tu as un peu de temps, tu prends de la bière. C’est comme si la nouvelle génération ne socialisait plus autant et il faut que tout aille vite», raconte M. Soucy.
Proche du monde du sport, il constate la même chose. «Après un match, les journalistes rentrent et presque tout le monde est parti, ça ne prend pas de bière».
Deux gros coups ont contribué à tout ça à son avis.
Le volant et la cigarette
La première, ce sont les mesures contre l’alcool au volant. Des mesures qui ont été durcies en 2012, exigeant la tolérance zéro sur l’alcool avant 22 ans.
Ensuite, ç’a été l’interdiction de fumer dans les bars. «Les bons buveurs sont des fumeurs», rappelle Réjean Soucy.
Tout ça a mené à la fermeture de bars, de tavernes et de discothèques. Ça fait moins d’endroits où socialiser pour les jeunes, qui socialisent moins qu’avant aussi.
«Regarde au Centre Bell ou au Stade Canac. Tu dois t’asseoir durant trois heures, tu as le temps de socialiser, c’est pour ça qu’eux réussissent à continuer de vendre beaucoup de bière. Tu ne prends pas des Dry Martini durant trois heures».
Il constate que l’image de la bière a mangé une claque au fil des ans. «C’est l’image de la grosse bedaine qui sort d’une taverne, lance-t-il. C’est l’image que ça donne pour des jeunes».
C’est pourquoi plusieurs compagnies ont lancé des publicités avec des bières avec peu de calories. Des annonces avec des athlètes ou des sportifs qui se prennent une bière après leur entraînement. «Ça marche plus ou moins à mon avis», ajoute M. Soucy.
Chose certaine, tous ces changements exposent à quel point les jeunes sont plus responsables de la génération qui les précède. «Les jeunes sont mieux éduqués, c’est évident».