La voix tellement essentielle de Coralie
Coralie prend la parole pour braquer les projecteurs sur l’inceste, l’«angle mort» des agressions sexuelles


Josée Legault
Son nom est Coralie. Coralie Léveillé. Elle a 27 ans. Coralie a posé un geste d’un immense courage. Elle a retrouvé sa voix pour aider d’autres victimes à retrouver la leur, étouffée par le tabou persistant qu’est l’inceste.
Vendredi, son père Jean-Claude Apollo, alias Giovanni Apollo, comparaissait pour des accusations d’agression sexuelle, d’exploitation sexuelle et de contacts sexuels s’étalant de 2011 à 2017.
Coralie a choisi de révéler que la victime alléguée, c’était elle – la fille de l’ex-chef et ex-vedette déchue du petit écran.
En entrevue dans les médias, Coralie s’est expliquée sur sa décision. Elle veut qu’on lève le voile, sans complaisance, sur le phénomène pernicieux de l’inceste.
Car l’inceste, qu’on nomme aussi «violence sexuelle intrafamiliale», on n’en parle à peu près jamais. Le phénomène sévit pourtant dans plusieurs sociétés, dites «avancées» ou pas, depuis la nuit des temps.
Le Québec ne fait pas exception. De la colonie jusqu’à la Grande noirceur, de nombreux enfants et adolescents, dont une forte majorité de filles, ont été agressés et exploités au sein de leur propre famille.
Le silence des agneaux
Ils l’ont été soit par un père, ou un oncle, un frère, un cousin, etc. S’ajoutaient, dans la société élargie, des agressions sexuelles tout aussi cachées par des prêtres ou des curés.
Sous ce double joug – famille et clergé –, une culture insidieuse du silence s’est installée pour prétendument «protéger» l’intégrité du noyau familial et l’autorité de l’Église.
Les enfants agressés, eux, en étaient les agneaux sacrificiels. Souvent même avec la complicité tacite ou l’aveuglement volontaire du reste de la famille.
Le clergé ayant fait son temps, ce même silence des agneaux s’est perpétué au sein de familles où des agressions continuent d’avoir lieu.
D’où l’importance vitale que prend la voix de Coralie. Car si elle parle, c’est pour braquer les projecteurs sur l’«angle mort» des agressions sexuelles, comme elle le dit avec grande justesse, qu’est l’inceste.
Ce même «angle mort» l’est depuis toujours parce qu’il renvoie à l’inconcevable. Un inconcevable trop réel. Coralie a la force inouïe de sonner l’alarme.
Briser le silence
Ce silence assourdissant, il faut l’extirper de sa caverne séculaire pour exposer le crime qu’est l’inceste et le combattre au grand jour.
En 2023, l’actrice française Emmanuelle Béart levait le voile à son tour. Victime d’inceste, elle coréalisait le documentaire-choc Un silence si bruyant.
«Je cherchais depuis des années», disait-elle, «une façon de m’emparer de ce sujet et de porter plainte à travers un film documentaire pour que le sujet ne reste pas une boule douloureuse de mon existence.»
Son but, comme pour Coralie, était d’aider à libérer la parole des victimes tout en contribuant à briser le tabou tenace de l’inceste.
Victime d’agressions répétées par son gérant de l’époque, Nathalie Simard, en s’identifiant publiquement, avait également brisé le silence immémorial des enfants exploités par un adulte en qui ils ont, en toute innocence, une confiance infinie.
Nathalie, Emmanuelle et Coralie nous rappellent la parole libérée par d’autres mouvements comme #MoiAussi et #AgressionNonDenoncée.
Le ressac visible des mouvements masculinistes et fondamentalistes religieux nous dit à quel point cette parole reconquise, parce qu’elle est vraie, dérange.
Eh bien, qu’elle dérange de plus en plus! C’est essentiel.
Merci, Coralie, de le faire à visière levée pour l’ultime tabou. Merci aussi de proposer qu’on en parle enfin jusque dans nos écoles.