La tour Eiffel de Mike Bossy


Marc de Foy
La machine à remonter le temps nous conduit en novembre 1973. Mike Bossy commence à brûler la jeune Ligue de hockey junior majeur du Québec. À 16 ans, la recrue du National de Laval compte déjà 20 buts à sa fiche.
Mes patrons du Montréal-Matin, premier quotidien pour lequel j’ai travaillé, me demandent d’aller rencontrer le jeune phénomène.
Bossy me reçoit dans le logement où il vit avec ses parents à Chomedey, près de la Récréathèque, aujourd’hui disparue.
Le National paie la moitié du loyer.
C’est le compromis que Johnny Rougeau a proposé à la famille, alors que Mike avait 12 ans, pour qu’il poursuive son hockey mineur sur le territoire lavallois.
Gêné à en gêner
La mère de Mike n’en revient pas qu’un gros journal produise un reportage sur son garçon.
Quant à Mike, il est terriblement gêné. Il ne comprend pas encore l’univers dans lequel il entre.
Les flashes de l’appareil photo l’incommodent. Il est tellement mal à l’aise qu’il rend inconfortable le jeune journaliste que je suis.
Je cherche un moyen de le faire sortir de sa coquille.
Je ne me rappelle pas si c’est à ma suggestion ou à son initiative, il commence à me montrer les trophées qui décorent les murs du salon.
Encore là, il parle peu.
Le truc sur la télévision
Une réplique miniature de la tour Eiffel placée sur le téléviseur capte mon attention.
C’est alors que le contact se fait.
Bossy me raconte que la tour est un souvenir qu’il a rapporté de France après une tournée contre des équipes pee-wee de ce pays alors qu’il évoluait avec l’équipe des loisirs Saint-Alphonse.
« Tu sais, dit-il, on ne se rend pas compte de ce qui se passe exactement lorsqu’on a 12 ans. Nous avons visité plusieurs endroits intéressants là-bas.
« Mais nous étions plus occupés à massacrer les Français sur la glace que nous étions intéressés par la tour Eiffel, les installations olympiques de Grenoble, les musées et tout le reste. »
Ce qui fait carburer Bossy, c’est marquer des buts.
Il termine la saison avec 70 buts.
Pas trop mal pour un jeunot !
Le couvercle saute !
La machine à voyager dans le temps nous amène au 5 avril 1977.
L’endroit : le Palais des sports de Sherbrooke.
Bossy et le National rendent les armes devant la puissante machine des Castors de Sherbrooke, en quart de finale.
La marque finale : 7 à 0 Castors.
Mais personne n’avait prédit que la série atteindrait la limite de sept matchs.
Peu après le cinquième but des Castors, dans la cinquième minute de la troisième période, Bossy engage le combat avec le robuste défenseur Floyd Lahache, qui a purgé 225 minutes de pénalité cette saison-là.
L’accumulation des coups qu’il a encaissés au fil de ses quatre saisons avec le National l’a poussé à bout.
Tant qu’à en finir avec le junior, aussi bien régler des comptes.
Bossy s’en tire assez bien.
« Je me suis tout de même bien défendu, estime-t-il.
« Je ne crois pas que Lahache a eu le dessus. Je lui ai donné autant de coups qu’il m’en a appliqué. »
Le prix à payer
Bossy n’en termine pas moins sa carrière junior amoché.
Il souffre d’un ligament déchiré à un pouce, blessure qui remonterait bien avant son combat contre Lahache, lui disent les médecins.
Une côte lui cause de l’inconfort, conséquence d’une dure mise en échec que lui a servie Jimmy Mann, l’homme fort des Castors, dans la première période du septième match.
« C’était comme ça depuis quatre ans, mais j’avais pris ma pilule, dit-il.
« Je crois que c’était tout à fait normal que je sois l’objet d’une telle surveillance. Mais je regrette un peu que cette première carrière soit terminée malgré tous les coups que j’ai reçus.
« Je sais que tout cela n’a pas été inutile, car il y a quelque chose au bout. C’est ce qui compte. »
Mariage et LNH
Bossy a 20 ans. Il a toute la vie devant lui.
Deux mois après sa dernière rencontre avec le National, le 14 juin précisément, il est repêché 15e par les Islanders de New York.
Le 23 juillet suivant, il unit sa destinée à Lucie Creamer, qui, dans la plus grande discrétion, sera sa complice de vie pendant près de 45 ans.
Bossy est devenu un homme. Un homme d’exception et de principe, qui est devenu un as du micro.
Bien qu’il se soit informé sur mon métier lors de notre première rencontre, il n’entrevoyait sûrement pas que le hockey l’amènerait à faire carrière dans les médias.
À vous, madame Creamer, à vos filles Josiane et Tanya, à toute votre famille, j’offre mes plus sincères condoléances.